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Hugolâtre ou hugoguenard ? deux menus dans la revue Papilles

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L’association des bibliothèques gourmandes publie depuis de nombreuses années une revue intitulée Papilles : culture & patrimoine gourmands. Après en avoir longtemps dirigé la rédaction, la bibliothèque municipale de Dijon a passé la main mais propose régulièrement des articles concernant les menus.

C’est l’occasion pour moi de vous proposer de découvrir le sommaire du numéro 43, consacré à Littérature du XIXe siècle : jouissances et frustrations.  Tous les autres sont en ligne ici.

Et de vous proposer notre dernier article sur Happy Apicius !

Hugolâtre ou hugoguenard ? Deux menus !

La Société historique, archéologique et artistique Le Vieux Papier est une association née au début de l’année 1900 pour réunir les passionnés de documents de la vie quotidienne imprimés sur papier du 15e siècle à nos jours. Le nom de “vieux papier” fut choisi en hommage à John Grand-Carteret, auteur de Vieux papiers, vieilles images : cartons d’un collectionneur en 1896, livre fondamental sur l’imagerie populaire et ce qu’on appelle plus volontiers aujourd’hui “éphémères”. Cartes postales, titres de transport, cartes de vœux, factures, publicités, emballages, images religieuses, ex-libris… autant de supports qui intéressent de nombreux collectionneurs privés, sources pour l’histoire, l’histoire des modes, de l’illustration, des mœurs, des entreprises… mais souvent jetés avant de tomber dans l’oubli.

Et les menus ? L’association ne les néglige pas, bien au contraire. Certains vieux-papiéristes en font l’objet privilégié de leur collection, surtout avant 1940, et la société en est une productrice importante. En effet, les membres se réunissaient très régulièrement (et se réunissent encore aujourd’hui) lors de banquets, autant d’occasions pour des “causeries” thématiques mais aussi pour la réalisation d’un menu, mémoire de l’événement.

Ce siècle avait 6 ans…

Menu du 27ème dîner : 20 mars 1906

La bibliothèque municipale de Dijon en conserve près de cent, la plupart datés entre 1903 et 1918. Parmi eux, celui du 27e dîner (20 février 1906, une erreur typographique l’a daté du 20 mars) est consacré à Victor Hugo, comme la causerie donnée par Louis Chanut, collectionneur hugophile ayant fourni les portraits ornant le menu (tout en bas à droite, on aperçoit aussi l’ex-libris de Louis Chanut, composé de livres surmontés de la mention “Victor Hugo). Dans le bulletin publiant le compte rendu des séances (Bulletin de la société archéologique, historique et artistique Le Vieux Papier. Tome IV, 7e année, fascicule 36, 1er mai 1906, p. 153 sqq), on y apprend qu’une cinquantaine de participants ont d’abord visité le musée Victor Hugo, à Paris, le 18 février. Le surlendemain, Louis Chanut procédait à sa causerie, décrivant par le menu… l’objet de sa passion, estampes, portraits, photos, bustes, médaillons, bibelots, 5000 pièces d’iconographie hugolienne en sa possession, aujourd’hui conservées dans les musées de Besançon.

Ce siècle avait 9 ans…

Dîner. Menu publicitaire Bénédictine

Un second menu de la collection de la bibliothèque met Victor Hugo à l’honneur, il fait partie d’une des nombreuses séries éditées par la liqueur Bénédictine – marque qui joua un rôle important pour la diffusion des menus publicitaires – en l’occurrence celle sur les grands hommes du XIXe siècle (BM Dijon. Menu M III-1567. Repas, Hôtel de l’Etoile, Briouze. 12 avril 1909). L’illustration est un montage réalisé à partir du fameux tableau exposé au Salon de 1879, réalisé par Léon Bonnat et conservé au Musée de l’Histoire de France de Versailles. Cette même iconographie surplombe le menu du Vieux Papier mais elle est traitée ici avec plus de… désinvolture puisque retravaillée de façon à faire poser l’écrivain à côté d’une supposée source d’inspiration… une bouteille de liqueur ! Napoléon et Pasteur, sujets de la même série, subirent le même sort sans que droit d’auteur ou droit à l’image n’aient été invoqués… Ah ! les misérables…

Lire ces deux menus, c’est se plonger dans un bon repas typique de ce début de 20e siècle. Même si ces banquets n’ont pas fait naître de légende pour les siècles suivants, ils sont dignes de Cromwell ou de Napoléon (le Petit).

Les convives commencent toujours par un (ou même deux) potage qu’un condamné ne refuserait pas au dernier jour. Ceux proposés ici sont des classiques : le Saint-Germain sous forme de consommé, crème, velouté ou potage et le printanier, simple ou à la royale. Le premier est assez fréquent sur les menus conservés par la bibliothèque de Dijon mais la recette est rarement présentée dans les recueils : c’est un potage de pois frais. Le second est en revanche à la table des matières de tous les manuels de l’époque : il s’agit d’une recette à base de petits légumes, carottes nouvelles, navets, petits-pois, haricots verts, bouquets de chou-fleur, pointes d’asperges, feuilles d’oseille et de laitue.

L’assiette suivante est celle des travailleurs de la mer, à base de poisson, ici un bar sauce riche et un turbot à la Saint-Malo. D’autres menus de la même époque proposeront des filets de barbue sauce crevettes, du merlan Colbert, de la sole dieppoise, du saumon sauce hollandaise, du brochet du Rhône sauce mousseline, du cabillaud sauce tartare, de la carpe meunière ou un buisson d’éperlans.

Viennent ensuite une viande (un cœur de filet de bœuf et un gigot) et un légume, celui-ci étant la plupart du temps précisé ; on peut ainsi apprécier une grande variété qui fait oublier le châtiment des fades garnitures bouillies : les petits pois et les haricots verts de nos deux menus apparaissent fréquemment mais n’éclipsent pas les asperges, carottes nouvelles, cardons à la moelle, épinards aux croûtons, endives au jus ou à la crème, les pommes duchesse, mousseline ou soufflées, les fonds d’artichaut et les choux fleurs, le cresson et le céleri braisé demi-glace, la purée de marrons ou la macédoine de légumes.

Le rôti prend alors place sur la table (tournante), morceau de choix qui amuse les rois (poularde, gigot, poulet de grain, pièce d’aloyau à la broche, dindonneau, quartier d’agneau…) avant la salade, elle aussi mentionnée à cette époque : laitue, mâche, barbe de capucin, salade parisienne ou de saison.

La fin du repas propose souvent une glace ou un entremets suivi d’un dessert, et parfois la variante suivante : un entremets de glace, crème ou fruit (on en connaît au moins quatrevingt-treize sortes : glace café, bombe glacée, riz à l’impératrice, crème renversée, gâteau sabayon, ananas au marasquin, coupe de fruits, marrons glacés, pêche Condé…) suivi d’un fromage (exceptionnellement caractérisé) puis de desserts qui peuvent être détaillés ou ne pas l’être.

La présence des vins et boissons sur les menus est encore très variable au début du 20e siècle : le menu du Vieux-Papier ne donne aucune information, celui de l’Hôtel de l’Etoile indique juste “vins – café – champagne” mais l’on trouve parfois la région, l’appellation, le producteur ou le millésime, de quoi faire rire son homme.

Vous l’avez compris, participer à ces agapes n’avait rien d’une contemplation.

 Caroline

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