Lecteurs dijonnais, vous savez peut-être déjà que la ville de Dijon et l’office de tourisme organisent depuis le 29 mai et jusqu’à fin septembre un brunch dominical sous les halles, là où se tient habituellement le marché en semaine.
Jamais les dernières en matière de repérage de bons plans (et de nourriture surtout…), nous sommes bien sûr allées le tester !
Le principe ? Chaque dimanche, un chef local, dont certains sont déjà connus pour les brunchs qu’ils organisent dans leurs propres établissements, est invité à livrer sa propre version du brunch dominical, tout en mettant en valeur les produits de la région et des commerçants du marché : des chefs comme David Zuddas, Alexis Billoux, Emeric Buisson (la Closerie/Maison Philippe le Bon), Jérôme Brochot, Nicolas Isnard* et David Le Comte* se sont déjà frottés à l’exercice.
Lorsque nous y sommes allées, l’ambiance était à la fois italienne et asiatique puisque c’étaient Little Italy et le Bentô qui régalaient.
Il y avait aussi un peu de déco sur les tables alors évidemment, on n’a pas pu s’empêcher de faire les marioles (et pour vous prouver qu’on y était bien !).
Bon, hormis le fait qu’on ait mangé comme des ogres , nous souhaitions surtout vous parler de l’histoire de ce haut lieu de la gastronomie locale. Rien de tel que de le traverser les matins d’ouverture du marché !
Remontons un peu dans le temps : des chartes attestent dès le 9e siècle la présence de marchés à Dijon, vers l’actuelle rue Longepierre, et dans le bourg Saint-Bénigne tous les samedis au 10e siècle. A partir du 12e, les marchés se spécialisent et irriguent tout le centre-ville : quartier des bouchers rue du Bourg, beurre et œufs place des Cordeliers, volailles et gibier sur l’actuelle rue de la Préfecture, porc rue Verrerie, poissonnerie rue Musette (la rue qui la prolonge s’appelait d’ailleurs à l’époque la rue de la grande poissonnerie), viande et lard salés place de Champeaux.
En 1426 sont aménagées les halles de Champeaux, un marché couvert cette fois-ci, surnommé la “Grenette” car on y stockait aussi les grains, non loin de l’actuel quartier des antiquaires. Le bâtiment a été détruit mais quelques traces seraient encore visibles sur les bâtiments voisins. (Je les cherche encore… peut-être les murs en pierre ? Je lance un appel !).
En 1807, la municipalité souhaite un lieu couvert en centralisé et le marché s’installe à l’emplacement du couvent et de l’église des Jacobins (rachetés par la ville), en plein centre, là où l’université et l’Académie des sciences, arts et belles-lettres tenaient leurs quartiers, avant de disposer de leurs propres locaux : c’est le “marché du Nord”, installé aux abords de l’église et à l’intérieur. Il subit diverses opérations d’extension et d’agrandissement, suite à l’augmentation de la population aux abords des bâtiments et au nombre de marchands installés.
Cependant, afin de correspondre aux critères d’hygiène, d’espace et de commodités de l’époque, la ville décidé de faire construire un nouveau bâtiment sur le même emplacement à partir de 1873. Le choix du lieu, ancien quartier intellectuel, qui attire nombre de marchands va faire de celui-ci une véritable temple du commerce.
“Les travaux de démolition des maisons qui avoisinent le marché de la Poissonnerie sont poursuivis avec activité ; le pic et la pioche écorchent, renversent et dissolvent les bâtiments, tout s’écroule, tout s’anéantit ! Jetons un dernier regard sur ce que, aujourd’hui déjà, nous nommons le passé, et voyons le chemin parcouru”. (Puck – pseudonyme d’Albert Fétu, Le marché couvert à Dijon, 1873)
Le projet est d’abord initié en 1869 par Gustave Eiffel (d’origine dijonnaise, hein, on vous le rappelle…), qui ne sera pas retenu (documents conservés aux archives municipales). Il est ensuite repris par les architectes locaux Louis-Clément Weinberger et Ballard (et non le parisien Baltard, comme on le croit parfois). La structure envisagée pour le bâtiment, métallique, avec quatre pavillons destinés à couvrir près de 250 boutiques, est assez classique pour l’époque, sur le modèle des halles parisiennes, et suit une volonté de modernisation des bâtiments et du paysage municipal.
Pendant quelques mois coexistent le nouveau bâtiment et l’église des Jacobins, détruite dans le courant de l’été 1874. Cette église, datant au départ du 13e siècle, mais ayant brûlé en partie au 14e, abritait notamment la sépulture d’Odinet Godran, fondateur au 16e siècle du collège dijonnais des jésuites… où se trouve aujourd’hui la bibliothèque patrimoniale et d’étude et où nous écrivons ces mots… Mais c’est une autre histoire !
Si vous vous approchez un peu du bâtiment, vous verrez que la structure extérieure reprend un certain nombre d’éléments de la structure classique : arcades, colonnes, chapiteaux recouverts de pampre et de vigne ; au centre des portes principales, le blason de la ville entouré de guirlandes de fleurs et de fruits ; enfin, sur les écoinçons, des thèmes symboliques se rapportant aux halles (gibier, poissons, Cérès, déesse des moissons et Hermès, dieu du commerce).
En 1975, mises en danger par un projet de parking, les halles sont inscrites à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques (le 29 octobre). On peut alors y lire : “halles de Baltard à Dijon”. Heu, non (voir plus haut), mais merci quand même ! C’est grâce à cette inscription que Dijon est l’une des rares villes a avoir conservé ses halles du 19e siècle, beaucoup ayant succombé dans les 1970’s aux promoteurs et remaniements urbains. Deux rénovations ont ensuite lieu, en 1979 puis en 1993-94, et le brunch des halles (le BHD pour les intimes), vient aujourd’hui s’inscrire dans une longue tradition de manifestations gourmandes en ces lieux.
En somme, que vous soyez dijonnais ou non, si vous visitez la ville cet été, pensez à aller faire un tour au marché (et à la bibliothèque l’après-midi évidemment) !
Si les restaurants et leurs terrasses ont aujourd’hui remplacé les étals aux abords des halles, on trouve encore aujourd’hui des vestiges architecturaux des commerces entourant le marché :
Pour en (sa)voir plus : Albert Fétu, Le marché couvert à Dijon, les ouvrages de Jean-François Bazin sur Dijon et son histoire, les catalogues d’exposition “Dijon vu par” les artistes Harry Gruyaert, Jean Bertholle et les photographies (dans l’espace dédié aux documents anciens et précieux !) de Pierre Duc et Marie-Claude Pascal. Et si l’alimentation au 19e et début du 20e siècle vous intéresse, allez faire un tour au musée de la vie bourguignonne rue Sainte-Anne, avec des objets et même des boutiques entières conservé-e-s.
* ceci est une remarque de Mathilde ; personnellement je désapprouve l’usage du terme “pâté croûte” (n’importe quoi) – Marie
Mathilde (et Marie un peu aussi – mais surtout Mathilde quand même)
P.S. : si vous êtes sages, vous aurez droit sur le blog à notre sélection de livres sur les halles & brunchs !
Je vous remercie beaucoup de cet intéressant article. Décidément, la ville de Dijon est très entreprenante en matière de gastronomie. Quant à l’expression “pâté croûte” plutôt que “pâté en croûte”, elle est en effet très répandue dans les ouvrages des happy few parisiens. J’ignore quelle est la véritable expression, du moins s’il y en a une. Peut-être les archives pourraient-elles parler?
En tout cas, merci pour votre érudition, tout à fait rafraîchissante en ces temps de canicule.
Bien à vous,
Bénédicte