A l’occasion d’une exposition
Je vous l’ai dit dans mon dernier article gaulois, le musée archéologique de Dijon (on a de la chance à Dijon, on a aussi un musée des beaux-arts, un musée de la vie bourguignonne, un musée d’art sacré et un muséum, en plus bien sûr d’une superbe bibliothèque…) consacre son exposition du moment à la vie quotidienne en Gaule romaine du 1er au 3e siècle de notre ère. C’est jusqu’au 25 octobre. Le fil conducteur de l’exposition est de partir des scènes représentées sur les monuments funéraires. L’exposition, très didactique et claire pour le non initié, propose un parcours en douze thèmes, de la médecine à l’artisanat en passant par l’enfance ou les transports, et vous permet de découvrir une cinquantaine de pièces lapidaires, une centaine d’objets mais aussi le fruit d’une collecte numérique. Les thèmes qui ont retenu notre attention, vous vous en doutez, sont la table, la chasse et la pêche et l’agriculture-viticulture ! Mais vous ne vous doutez peut-être pas que le culte des morts nous a encore plus intéressées… En effet les pratiques funéraires accordent une large place à un banquet qui réunit les vivants et les défunts le jour des funérailles mais aussi aux anniversaires du décès et le jour de la fête des morts (Parentalia). On offre à ses proches disparus des libations à travers un trou réservé dans leur stèle. On a aussi trouvé des traces archéologiques de tombes où l’on déposait de la vaisselle et de la nourriture pour le mort.
Ce monument funéraire est décoré d’une scène de banquet : un homme allongé sur un lit tient un gobelet dans sa main droite ; par terre reposent ses sandales, une cruche et une amphore ; devant lui, une sellette à trois pieds porte un plat contenant une volaille ; à ses pieds, un jeune homme fait lécher un plat à un petit chien.
De nombreuses visites et animations accompagnent l’exposition. Parmi ce programme, deux dégustations étaient proposées le 24 juin dernier. C’est le chef à domicile bien connu Hubert Anceau qui officiait derrière ses fourneaux et sa belle table garnie, pour plus d’une heure passionnante de découvertes et de gourmandise.
Le chef prépare une partie des plats dégustés tout en nous expliquant sa démarche.
Qu’est-ce qu’on mange ?
Pour les recettes, il s’est inspiré de notre cher Apicius (vous comprenez que je ne pouvais manquer ça !), mais aussi du traité d’agriculture de Caton l’Ancien et du livre d’Anne Flouest dont je vous ai déjà parlé. Alors qu’est-ce qu’on a mangé ?
Pour commencer, Hubert Anceau lance une préparation gauloise, une meurette de truite cuite à la cervoise inspirée d’Anne Flouest : il coupe en tout petits morceaux des carottes, du céleri, des poireaux, des herbes (livèche et ache) qu’il fait revenir dans du saindoux. Il ajoute de l’ail, du chou italien puis mouille avec de la cervoise et aromatise avec du laurier, du romarin, du serpolet, de l’origan, de l’ortie séchée, de l’ail des ours, bref toutes les herbes qui vous plaisent, et un peu de raifort en pâte et du sel. Il laisse réduire, ajoute du miel et au dernier moment des morceaux de poisson.
Pendant la cuisson, nous dégustons une patina, recette traditionnelle romaine salée ou sucrée qui rappelle le clafoutis ou l’omelette (on en trouve une vingtaine chez Apicius nous dit-il). Celle d’Hubert Anceau est aux asperges : couper les asperges en morceaux et les cuire, écraser au pilon des herbes aromatiques, du vin blanc sec, du garum (ou nuoc-mâm), de l’huile d’olive puis mélanger avec des œufs et les asperges.
Puis vient le tour de l’hypotrimma, un délicieux mélange de faisselle et d’un nombre incroyable d’ingrédients : herbes (ache, menthe), pignons écrasés au mortier, raisins secs macérés dans du defrutum (moût de raisin cuit, réduit à l’état de sirop qui est la base du balsamique et servait d’édulcorant à Rome), garum, vinaigre, miel et dattes émincées.
Après l’entrée, le plat, le fromage, vient le tour du pain : les mustacei réinterprétés de Caton et cuits sur une feuille de laurier. La pâte est réalisée avec de la farine semi-complète, du saindoux, du fromage frais de brebis, du sel, de l’anis vert et du cumin, du moût de raisin qu’il avait fait fermenter depuis la veille pour servir de levure.
Et pour finir, un dessert très doux, le flan d’Anne Flouest mais aussi d’Apicius, à base de lait, miel, copeaux de chêne à faire infuser dans de la gaze, d’œufs et de farine d’avoine.
Qu’est-ce qu’on boit ?
Deux vins nous étaient proposés mais je ne vous en dirai pas plus pour le moment. L’expérience du vigneron qui a travaillé avec des archéologues pour faire de la viticulture historique expérimentale m’a tellement plu que j’ai racheté ces vins pour organiser une dégustation à l’aveugle dans ma famille… ce qui fera l’objet d’un prochain article bien sûr !
A lire pour en savoir plus et tester la cuisine romaine
Renzo Pedrazzini. Gastronomie d’Apicius : cuisinier romain aujourd’hui. Aspet : Editions du Terran, 2010.
Un très chouette livre qui raconte une expérience comme on les aime, quand historiens et cuisiniers travaillent ensemble et mutualisent leurs expertises respectives. Une belle introduction et quelques annexes donnent plein d’informations sur la cuisine romaine et cinq chapitres proposent des recettes d’entrées (foie gras en crépine à l’œnogarum), poissons (sauté d’anguille au sumac et defrutum), viandes (canard mijoté aux pieds de porc et foies de volaille), accompagnements (pousses d’orties à l’oxyporum) et desserts (dattes fourrées aux pignons). De très nombreuses photographies et explications facilitent la réalisation… mais je n’ai pas testé ! Toutes les recettes sont tirées du recueil d’Apicius. Vous apprendrez que les deux premiers repas de la journée romaine (le jentaculum et le prandium) sont légers et frugaux et que le véritable repas copieux est la cena, que le repas est composé de trois services (la gustatio, la prima mensa et la secunda mensa pour les desserts), que le vin était bu pour lui-même sans accord avec les mets, à la fin du repas lors de la comissatio, que le meilleur garum est à base de maquereaux, que le miel préféré des Romains est le miel vierge de thym non fumé, qu’il est courant de trouver dans un plat une douzaine d’éléments aromatiques, herbes, épices, condiments, que les Romains étaient friands de produits de la mer si bien que les plus riches installaient des viviers si grands que César avait pu obtenir plus de 6000 murènes pour le festin de ses triomphes, que le porc est le seul animal élevé et engraissé pour la boucherie, qu’Apicius a inventé l’engraissement des foies de truie avec des figues, que le pain n’est consommé que tardivement (la boulangerie naîtrait à Rome en 171 avant J.-C.)…
L’auteur nous rappelle aussi la fameuse scène du festin de Trimalcion décrite par Pétrone dans le Satyricon, pendant lequel le maître du banquet demande à ses serviteurs de tuer et préparer le plus vieux des porcs ; le plat arrive tellement vite que l’on soupçonne le cuisinier d’avoir oublié de vider l’animal ; Trimalcion lui ordonne alors de le vider devant les convives… en sortent saucisses et boudins ! Un court extrait de la vision de Fellini…
Sur le site du restaurant de l’auteur, le Lugdunum à Valcabrère près de Saint-Bertrand-de-Comminges, on trouve une petite vidéo que voici.
Renzo Pedrazzini. Saveurs et senteurs de la Rome antique : 80 recettes d’Apicius. Toulouse : Fontan et Barnouin, 1996.
L’auteur du livre précédent avait déjà écrit un livre de recettes dont voici quelques exemples : brocolis à la coriandre et à la menthe, bettes aux poireaux et aux raisins, congre rôti au vin miellé, murène rôtie, patina de soles, chevreau à la Parthe, rognons grillés en crépine, jambonneau à la crème d’orge, sauce aux myrtes pour le porc rôti, dattes fourrées aux pignons, apothermum (entremets à base de lait, miel, huile d’olive, fruits secs, poivre, garum).
Nicole Blanc, Anne Nercessian. La cuisine romaine antique. Grenoble : Glénat ; Dijon : Faton, 1992.
Livre issu du travail de deux archéologues, chercheuses au CNRS et passionnées de cuisine qui ont recoupé les sources écrites, iconographiques, archéologiques avec leurs expérimentations. Elles décrivent les produits du garde-manger puis les manières de table dans le triclinium avant de passer en revue les différents aliments et leurs façons d’être cuisinés, en illustrant richement leurs propos d’illustrations et de recettes tirées de textes antiques, pour finir par un chapitre sur l’imaginaire de la table romaine, des langues de flamants roses aux surmulets noyés dans du garum, de la gloutonnerie à l’extravagance luxueuse.
Jacques André. L’alimentation et la cuisine à Rome. Première édition chez Klincksieck en 1961, 2e en 1981 aux Belles Lettres qui l’a récemment réédité en 2009.
Les chapitres décrivent les différents types d’aliments. On y apprend que les Romains préfèrent le mou au croquant, qu’on fait d’abord bouillir les viandes et que d’ailleurs le vocabulaire des viandes rôties est essentiellement anglo-saxon (l’auteur est lexicographe). Son chapitre de conclusion fait le bilan en positif (passage de la bouillie au pain et domestication de tous les animaux fournissant lait et viande) et en négatif de la période romaine.
Brigitte Lepretre. Ancient Roman Cuisine : 35 recipes for today. Louviers : Ysec éditions, 2011.
Un joli petit livre de recettes, chacune d’entre elles agrémentées d’un encadré informatif sur les Romains.
Caroline
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