On mange une cuisine simple, une cuisine familiale et bourguignonne, on n’a pas le droit de se plaindre pour dire que la purée est trop (ou pas assez) salée, on est là pour échanger en harmonie et pas pour se disputer !
À la table des Vincenot, les jours de fêtes, chacun met la main à la pâte : marinade, cuisson du sanglier et pauchouse réservées à Henri, le père, allumettes au fromage, desserts et gestion de l’intendance, prérogatives d’Andrée, la mère, assistés des enfants, trop heureux d’avoir “le museau au ras des plats”…
À la table des Vincenot, on fait la part belle aux produits du jardin, mais aussi aux produits récoltés dans la nature, des escargots aux champignons.
C’est ce que nous a appris Claudine Vincenot, fille d’Henri, l’écrivain, journaliste, peintre, sculpteur, dessinateur… et amateur de cuisine, lors de la conférence-dégustation du 21 novembre à la bibliothèque patrimoniale : Apprenez à déguster la cuisine des Vincenot. Heureux et gourmand prétexte pour la remercier du don de manuscrits fait à la bibliothèque.
Au menu de la conférence-dégustation : des recettes piochées dans l’ouvrage Bourgogne : cuisines du terroir, de la famille Vincenot, bien entendu ! C’est Nathalie, la première petite fille d’Henri et de sa femme Andrée, qui rédige et met en forme ce recueil de recettes familiales, de quatre générations réunies, des arrières-grands-mères Nanette Brocard et Claudine Emonin au fils François, restaurateur installé à Sombernon jusqu’à sa disparition en 1987. Avec des photos de la famille et du pays, indissociables de la cuisine comme de la table.
L’ouvrage, réédité en 1987 sous le titre Cuisine de Bourgogne, est malheureusement épuisé… à quand une nouvelle édition en librairie ?
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Soupe aux herbes, escargots en meurette, omelette au sang et treuqué au cassis, accompagné d’une eau-de-coing pour la note finale, sucrée
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Le tout accompagné d’un vin blanc du domaine Aurélien Fèbvre (légèrement perlé), un vin du pays natal d’Henri Vincenot, l’Auxois, et d’un Maranges Clos des Loyeres 1er cru, vin rouge issu de la Côte de Beaune, qui concrétise le lien entre Saône-et-Loire et Côte-d’Or et rappelle les origines d’Andrée.
Un choix effectué par Claudine Vincenot avec la complicité d’Hubert Anceau, cuisinier à domicile et animateur d’ateliers culinaires, qui a réalisé les plats dégustés à l’issue la conférence, et s’est prêté au jeu de la démonstration en direct : préparation de l’omelette au sang dans la salle de lecture de la bibliothèque !
Retrouvez la cuisine des Vincenot à la BM avec “Des plats qui réchauffent”, où vous découvrirez la recette de la tourte à la viande façon Vincenot et les dernières générations en cuisine, ou “De la terre à sa fourchette”, avec la recette de la Billebaude. Dans “À la table d’Henri Vincenot“, Claudine cite son père, pour qui “Composer et créer un repas est du même ordre que créer un poème, une symphonie, un tableau, et manger, pour être un acte nécessaire et plusieurs fois quotidien, n’en est pas moins une manifestation solennelle de l’amour de la vie”.
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La cuisine des Vincenot à la BM, ce sont aussi… des écrits !
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On retrouve dans cet article la saveur des souvenirs transmis par Claudine, avec la verve si personnelle et chaleureuse qui a su séduire le public (et les bibliothécaires) lors de la conférence. Souvenirs culinaires qui, comme presque toujours, amènent à évoquer la famille et ses histoires, tendres ou drôles, à l’image d’une madeleine de Proust avec, en plus, l’écho suscité par les noms de plats et de lieux connus des bourguignons.
À l’inverse, on retrouve dans En billaubaudant avec Henri et Claudine Vincenot, des évocations gourmandes au détour des souvenirs de famille, comme les framboises du chemin de Chèvre-Morte, ou le triptyque viticole réalisé pour l’école de Santenay reproduit dans Vincenot, l’album, réalisé à l’occasion de l’exposition dijonnaise “Vincenot, 1912-1985, rétrospective”, présentée conjointement à la bibliothèque municipale, au musée de la vie bourguignonne et au musée d’art sacré en 2012. Des menus, bien sûr, de repas de famille, de fêtes, de communion… et des recettes familiales manuscrites, offertes récemment à la bibliothèque par Claudine et bientôt signalées sur la base patrimoniale.
Sans oublier, évidemment, les romans d’Henri Vincenot, avec, mais pas que, La Billebaude, Le pape des escargots, Le livre de raison de Glaude Bourguignon, Du côté de Bordes…
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Retrouvez aussi la cuisine d’Hubert Anceau avec Coups de cœur en Bourgogne, dégustations insolites et créations gourmandes nées de la rencontre du cuisinier avec un psychologue passionné et un photographe autour du vin, avec la recette de la “prise de tête” (tête de veau en macaron, il fallait y penser !) ou le conte du coq, histoire étrange qui se déroule dans une ferme des Hautes Côtes…
Marie
Le Progrès! Mes Amis! Le Progrès!
Il jeta sur la table un sac de girolles qu’il venait de cueillir en forêt de Goulènes, et toute la maisonnée fut bientôt rassemblée devant lui.
Il ne fit pas attendre l’auditoire, et tout en sirotant le vin frais, commença de sa voix de clerc:
– Le 20 juin on a emmené la Banniche Gautherot à l’hôpital!
– Quoi donc qu’elle avait?
– Une dépression nerveuse, qu’ils disent. Faut dire qu’elle s’était fait mettre la télévision l’année dernière…
– La télévision? Mais quel rapport, Gazette?
– Rapport de cause à effet: En une seule année, sans sa boîte à images, elle a assisté à deux cents grèves, dix-huit révolutions, cinquante-deux coups d’Etat, vingt-deux tremblements de terre. Elle qu’avait jamais rien vu, elle a pas pu supporter.
Il mâcha une gorgée de vin et ajouta, de sa voix numéro deux, celle du commentateur:
– C’est ce qu’on appelle l’information! Ça fait partie du progrès!
– Raconte, Gazette! dit le Nerveuillon, en gigotant sur son banc.
– … Le deux juillet: on a emmené la femme du Châtré à l’hôpital.
– Elle aussi? A cause de quoi?
– Dépression nerveuse, pardi!
– Télévision? demanda le Gravolon.
– Elle ne pouvait pas avoir d’enfants et elle en voulait! Je continue: le 10 juillet, on a emmené la Marie du Tronchat à l’hôpital. Dépression nerveuse aussi! Elle ne voulait pas avoir d’enfants et elle en avait!
Tout le monde riait: Sacrée Gazette!
– Je continue! Le onze, le Lazare des Gordots est mort: infarctus du myocarde, qu’ils appellent ça!
– A quoi que t’attribues ça, toi, Gazette?
– Aux factures de sa moissonneuse-batteuse, de son tracteur et de tout le matériel qu’il pouvait pas payer!
La Gazette se levait, et d’une voix terrible:
– Le progrès! Mes amis! Le Progrès! Le voilà qui atteint nos régions marginales, enclavées et sous-développées. Et vous en crèverez tous! L’égalité devant le Progrès! La dépression nerveuse pour tous! L’infarctus à la portée de toutes les bourses!
Pages 364-365-366 VINCENOT Le pape des escargots Folio Denoël 1972
Aujourd’hui à la télévision (pour ceux qui l’ont), tant et tant d’émissions consacrées à la cuisine ! Avec des audiences qui ne doivent pas susciter infarctus et dépressions nerveuses… mais émulsion et émulation, les chaînes se font maisons d’édition, et le succès du petit écran se décline sur le papier. Sans doute bientôt l’objet d’un prochain article ici, d’ailleurs ! Mais oui, que regardent les bibliothécaires, quand ils-elles ne cuisinent pas ? Sans parler du succès de la cuisine des séries, de Hunger Games à La petite maison dans la prairie… il faudra plusieurs articles pour venir à bout de tout cela !
Marie
Bonjour Marie,
Ce matin, dans LE FIGARO, un long entretien de Périco Légasse, intitulé :
Noël, la malbouffe, la France et moi.
avec une dernière question: n’est-ce pas un peu paradoxal à l’heure de la multiplication des émissions de cuisine?
Vous en tirerez sûrement une moelle à sucer pour votre prochain article!
http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2014/12/12/31003-20141212ARTFIG00420-perico-legasse-noel-la-malbouffe-la-france-et-moi.php