La mise en ligne d’une partie des collections de Jean-Baptiste-François Jehannin de Chamblanc (1722-1797) nous fait découvrir quelques richesses iconographiques de la bibliothèque, parmi lesquelles des natures mortes du 18e siècle. L’été 2016 sera Jehannin à la bibliothèque, puisque de nombreuses actions sont consacrées à la mise en valeur de ses collections : tout le programme sur notre portail et dans l’agenda culturel Bibliomnivore, à suivre sur les réseaux avec #SaisonJehannin .
Le parlementaire, dont les livres et une partie des images sont parvenus à la bibliothèque par le biais des confiscations révolutionnaires, s’intéressait à tous les domaines du savoir. Il n’avait pas de prédilection pour les natures mortes, genre en vogue à partir du 17e siècle, mais ses gravures en recelaient quelques unes.
Nous savons très peu de choses de cette Nature morte au crustacé, si ce n’est qu’elle a été gravée au 18e siècle, en mezzotinte*, par un certain Smith. Est-ce une création originale de Smith ? Est-ce une copie d’une peinture antérieure ? En tout cas l’oeuvre est conforme aux codes du genre en vigueur à l’époque.
Ce crustacé et ce qui l’entoure nous révèlent plus de choses qu’il n’y paraît au premier abord. Cette composition est le reflet d’un milieu social plutôt aisé par ce qu’elle a d’ostentatoire comme les étoffes et les denrées de luxe. Au-delà, elle nous renvoie à notre finitude. Le caractère éphémère de la vie sensuelle et matérielle nous apparaît par ce qui est induit ici : le flétrissement à venir des fruits, la carafe renversée pouvant se briser, les plats en bord de table menaçant de tomber, les huîtres dont la fraîcheur dure peu.
Tout fait référence à la fragilité de la vie et à la vanité des biens de ce monde. Si vous observez bien l’image, vous verrez que le crustacé vous observe de son œil torve, il fait office de memento mori.
Qu’en est-il de la portée symbolique de chaque élément de la composition ?
Il est difficile de déterminer dans ce cas précis quels symboles ils revêtent. Voici quelques unes des interprétations, certaines dépassant le contexte de la gravure de Smith :
Le homard peut signifier la déviance morale ou religieuse, sa démarche caractéristique étant un signe d’inconstance et d’instabilité. Il peut être l’emblème de la paresse en raison de sa propension à s’enfouir dans le sable et à y demeurer statique. Par le phénomène du changement de sa carapace à la fin d’une saison, il serait aussi une manifestation de la résurrection du Christ.
Le raisin et les feuilles de vigne évoquent l’eucharistie et la passion. Le citron a des significations diverses dont l’amertume de l’existence, le salut car ce fruit a des vertus curatives et la fidélité en amour car le citronnier donne des fruits toute l’année. L’écorce de citron pelée en spirale peut représenter le déroulement de la vie terrestre au long duquel l’individu libère son esprit de son enveloppe matérielle, pour arriver à la pulpe de l’essence spirituelle.
Les huîtres sont un aliment aphrodisiaque et renvoient à l’amour charnel, à la sensualité. Les coquillages symbolisent la tombe avant la résurrection. Les poires, avec leur formes sensuelles, évoquent Vénus. Les pommes revêtent de multiples symboles : fruits du jardin des Hespérides, fruits de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, attributs de Vénus, elles sont à la fois évocatrices de féminité et de beauté, d’immortalité mais aussi emblèmes de la chute de l’Homme.
Pour ceux qui ne digèrent pas le homard, des fruits !
Ces deux gravures sont également numérisées et visibles dans la base consacrée à Jehannin de Chamblanc :
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Le Compotier de prunes et les Cinq pêches sur une table sont gravées par Jacques Gautier-Dagoty. Ce graveur connu, entre autres, pour avoir démocratisé la technique de gravure en couleurs utilisée ici, nous livre une version particulière de ce type de nature morte. Il semblerait que la visée symbolique soit moins présente dans ces représentations au profit d’une esthétique permise par le rendu de l’estampe.
Ces fruits paraissent tout à fait humbles dans leur simplicité, mais ce que nous ignorons, c’est qu’ils sont nés d’une prouesse technique. L’impression en couleurs au repérage fut inventée par un certain Le Blon. Gautier Dagoty s’en est attribué la paternité alors qu’il n’aurait fait qu’améliorer la technique en ajoutant le noir à l’invention. Il s’agit de graver plusieurs plaques de cuivre à la façon de mezzotintes* et de les superposer afin que les couleurs se mélangent.
Si l’on observe bien l’image, on s’aperçoit que ce mode de gravure particulier traduit bien le velouté et le relief des fruits, ce qui confère une autre dimension à ce type de composition des plus sobres. Pour apprécier les images, vous pouvez aller dans notre collection en ligne et zoomer, imprimer, télécharger autant de prunes et de pêches qu’il vous plaira pour faire une bonne compote.
Pour finir, je vous laisse travailler un peu. Savez-vous ce que symbolisent les prunes et les pêches dans l’iconographie ?
Nathalie – qui aime aussi les petits pois… mais ça n’a rien à voir, c’est juste un prétexte pour vous montrer ces jolis monotypes de Frédérique Danse qui font partie également des collections de la bibliothèque, ainsi que bien d’autres images gourmandes.
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*La mezzotinte ou manière-noire est une technique de gravure en creux, sur cuivre. À l’aide d’un outil appelé berceau, on entame la plaque de cuivre de petits points sur toute la surface, de façon uniforme. Une fois ce grainage fait, on gratte la surface de la plaque avec un grattoir et on polit certains endroits avec un brunissoir. Ainsi selon le degré de rugosité de la plaque, l’encre sera plus ou moins retenue et des nuances dans les teintes apparaîtront. Une fois la plaque encrée, on imprime.
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