Les saisons font varier le contenu de nos assiettes ou du moins devraient le faire…
Avec le retour du soleil, j’avais envie de vous faire partager la recette d’un gâteau qui, chez nous, symbolise le beau temps depuis plusieurs années.
Et j’en profite pour vous faire découvrir aussi quelques livres ! Si vous préférez la cuisine contemporaine à nos livres anciens, passez directement en bas de l’article !
Les manuels de recettes étaient très souvent organisés par saison pendant la période moderne et au 19e siècle.
Menon ouvre La nouvelle cuisine avec de nouveaux menus pour chaque saison de l’année (édition de 1742) par plusieurs menus de printemps. Voici le premier, qui vous montrera par ailleurs l’ordonnancement d’un repas au 18e siècle.
Menu de printemps d’une table de quatorze couverts, servie à treize, à souper (pages 1 à 3)
Premier service
Pour le milieu un surtout, pour les deux bouts deux ouilles : un de ris aux écrevisses, une d’ouille à l’espagnole
Pour les deux flancs deux hors-d’œuvres : un de pains à la Venette, un de queuës de mouton à l’oseille
Quatre moyennes entrées aux quatre coins du surtout : une d’un pâté de saumon, une d’un gigot de cente feüilles, une de poularde à la Bourguignotte, une de pigeons en concombres
Quatre petites entrées aux quatre coins de la table : une d’oreillons de veau à la Sultanne, une de palais de bœuf en rissolles, une de filets de lapreaux à la Czarienne, une de soles à la Martine
Second service
Deux relevés pour les deux pots à ouilles : une d’une longe de veau à la Gasconne, une d’une poitrine de bœuf glacée au parmesan
Troisième service
Huit plats de rôt
Quatre salades
Quatrième service
Douze entremets : un d’un gâteau de bœuf, un d’un pâté froid, un d’un jambon à la broche au vin d’Espagne, un d’une croquante, un d’asperges, un de petits pois, un de crême de biscuits, un de bignets en las d’amour, un d’une tourte de cerise, un de ris de veau en caisse, un de mousserons, un d’huitres farcies
Dans le fameux Almanach des gourmands (1808), Grimod de La Reynière propose un traité de dissection des viandes puis des menus pour chaque saison et finit par un traité de savoir-vivre. Voici son premier menu de printemps pour une table de quinze couverts (pages 129-130).
Deux potages
Un à la Condé, un au riz, au blond de veau
Huit entrées
Des grenadins aux pointes d’asperges, une épigramme d’agneau, un vol-au-vent de quenelles de poisson, un filet de bœuf piqué, des riz de veau, piqués et glacés, à la financière, des côtelettes de pigeon, panées, des petits pâtés à la Monglas, une poularde à la poële, à la sauce aux tomates
Deux relevés
La pièce de bœuf, un turbot
Deux grosses pièces
Un jambon de Bayonne, des homards
Deux plats de rôt
Des soles, des pigeons
Huit entremets
Des tartelettes, un gâteau de riz, des épinards, des choux-fleurs, des petits pots au chocolat, une charlotte, des asperges en petits pois, une croûte aux champignons.
Grimod poursuit ce menu avec quelques observations (pages 130-131) : “Les entrées, sans être très-recherchées, sont cependant bien choisies et bien appropriées à la saison, l’une des plus ingrates de l’année pour la bonne chère. Les quenelles de poisson demandent cependant à être traitées avec beaucoup de délicatesse et de légèreté, car c’est une composition en quelque sorte aérienne. La sauce aux tomates de la poularde à la poële se fait avec des tomates conservées, car l’on sait que les fraîches ne commencent à paroître que vers la fin de l’été, et que l’on n’en trouve plus passé le mois d’octobre. Des huit entremêts qu’on voit ici, sept appartiennent en quelque sorte encore à l’hiver ; mais les asperges en petits pois caractérisent bien le printemps ; car c’est le premier légume qui paroît dans un potager, et sans contredit l’un des meilleurs.
Un peu plus loin, il ajoute (page 141) :
Tels sont les Menus que nous avons cru d’abord devoir offrir aux Amphitryons pour le Printemps, l’une des saisons les moins favorables à la bonne chère, la Nature n’y donnant guère encore que des espérances qu’elle laisse le soin aux saisons suivantes de réaliser. c’est même par cette raison que nous croyons devoir donner, pour cette saison seulement, quatre nouveaux Menus tous différens de ceux qu’on vient de lire. Nous avons remarqué que les Amphitryons, qui ont des repas à donner dans le printemps, sont ordinairement beaucoup plus embarassés que dans toute autre saison de l’année. C’est donc pour venir à leur secours et leur offrir de nouveaux moyens de mettre utilement en œuvre leur magnificence, que nous allons nous livrer à ce second travail, qui, comme il sera facile de s’en convaincre, est loin de former un double emploi avec le premier.
Poursuivons avec un fameux livre de haute cuisine, Les Royal-Dîners, guide du gourmet d’Edouard Hélouis (1878). Il liste des menus, mois par mois puis en détaille les recettes. Voici le 2e menu pour le mois de mai, dîner fait à Florence le 5 mai 1867, menu de 80 couverts (page 240).
Avant de passer à des livres plus récents, voici “ma” recette de gâteau de printemps, c’est une sorte de fraisier pour les nuls !
Faites d’abord un biscuit de Savoie. Je vous donne la recette que j’utilise, qui est celle de ma grand-mère depuis plusieurs dizaines d’années :
Travailler longuement 4 jaunes d’œufs avec 140 g de sucre. Ajouter 50 g de farine, 50 g de fécule, de la vanille puis les blancs en neige. Cuire dans un moule à manqué 25 mn à 150°C puis 20 mn à 180 ° en couvrant d’un papier pour que le gâteau reste clair.
Ensuite faites une crème pâtissière : travailler 1 œuf entier et 3 jaunes avec 75 g de sucre et 25 g de farine. Ajouter peu à peu 1/2 litre de lait tiède dans lequel vous aurez fait infuser une demi-gousse de vanille. Cuire 10 mn en tournant constamment.
Coupez le gâteau en deux, étalez une belle couche de confiture (fraise, framboise ou groseille…) puis une grosse couche de crème ; ajoutez des fruits rouges (fraises et/ou framboises et/ou groseilles et/ou ce qui vous fait plaisir…) et refermez le gâteau. Faites-le quelques heures à l’avance pour que le biscuit s’imprègne de tous les goûts. Ce gâteau fait de l’effet et est absolument délicieux, foi de Happy blogueuse…
En plus, je suis très fière de ma photo prise aux premiers rayons du mois d’avril.
Et les chefs d’aujourd’hui ?
asperges morilles agneau œuf petits pois veau fraises cerises escargots grenouilles langoustines pigeon acacia rhubarbe…
J’ai sélectionné quelques-uns de leurs recueils, centrés sur les saisons.
Régis et Jacques MARCON. Recettes de printemps.
Publié en 2014, cet ouvrage est consacré aux recettes du restaurant de Saint-Bonnet-le-Froid en Haute-Loire (Auvergne) que Régis et son fils Jacques inventent au fil des saisons. La nature et le respect du rythme du temps qui passe semblent être une ligne de conduite, affirmée dès l’accueil de leur site. Sur les hauteurs, leur hôtel-restaurant a l’air bien accueillant…
Voici quelques intitulés qui ont parlé à mes papilles :
De belles asperges vertes du midi farcies aux morilles
Œuf surprise, pour un ragoût de petits pois à l’hysope
Fricassée de grenouilles et mousserons relevée à l’ail de la victoire
Clafoutis à la rhubarbe et pétales de rose
Yannick ALLENO et Kazuko MASUI. 4 saisons à la table n° 5, Le Meurice, Paris.
Kazuko Masui, qui a beaucoup écrit sur la gastronomie française, a rencontré Yannick Alleno, alors chef du Meurice, en 2002, et semble avoir son rond de serviette dans ce restaurant, si je peux me permettre cette expression familière dans ce cadre so chic… Elle raconte : “Au restaurant ‘Le Meurice’, je retrouve le Paris que j’aime. Je m’assieds toujours à la table 5.” Depuis le chef a changé de toque, à voir ici, c’est compliqué, les chefs d’aujourd’hui voyagent encore plus que ceux du 19e siècle…
Alors, si le luxe des palaces vous fait rêver, ou si même, sait-on jamais, vous avez envie de casser les tirelires de toute la famille (et les livrets A), voici quelques-unes des recettes de printemps :
Crème et beignets de pointes d’asperges vertes, œuf de poule à la crème de lard et truffe
Asperges vertes gratinées à la moelle et au parmesan, jus corsé au vieux jambon ibérique (vous avez remarqué, j’aime les asperges)
Fraises gariguettes soufflées, crème normande vanillée, au caviar de fruits
Restons dans le luxe avec Etoiles & Mont Blanc – quatre saisons entre cuisine et montagne – les recettes de l’Albert 1er de Pierre Carrier et Pierre Maillet.
Pierre Maillet est aux commandes du restaurant doublement étoilé et a pris la succession de son beau-père Pierre Carrier, dans un établissement appartenant à cette famille depuis 5 générations. Dans ce restaurant d’altitude entre luxe et style montagnard, à la vue imprenable sur les sommets, voici ce que le printemps propose…
Asperges blanches servies tièdes, citron confit et vinaigrette d’herbes
Œuf de ferme et mousserons des prés, mouillette au beurre salé
Carré de veau de lait rôti entier à la broche, morilles et grosses frites cuites à la graisse de canard
Framboises de pays, chèvre frais de la ferme à Payot, sorbet framboise poivron rouge
Cerises à la jubilée, glace pistache, biscuit moelleux pistache amarena
Terminons avec Un printemps dans le Luberon avec Edouard Loubet. 80 recettes du Moulin de Lourmarin. Edouard Loubet était à l’époque de la sortie du livre le chef doublement étoilé du Moulin de Lourmarin. Lui aussi insiste sur l’importance de la nature et des produits de saison. On trouve effectivement dans ses recettes de nombreuses plantes sauvages, comme le montre les recettes suivantes…
Petit ragoût d’escargots au tabac d’herbes du Luberon
Œufs d’agasse au nid, légère infusion à la cataire & beignets de fleurs de ciboulette
Grenouilles juste poêlées à l’absinthe & mousseline d’ail doux
Poêlée de morilles à la racine de réglisse
Confiture de cerises à la verveine et au poivre de Sichuan
Caroline
Un petit souvenir dans le Luberon et Lourmarin, l’an dernier, à cette même époque.
(…) Vous avez faim après toutes ces promenades ? Je vous comprends. Je vous dirai volontiers de vous arrêter dans le moindre village, n’importe lequel. Le hasard fait si bien les choses. Le hasard et… midi bien sonné nous a menés à Vinsobres, chez Alice. « Asseyez-vous sur la terrasse. Je fais de belles et bonnes assiettes. Vous verrez. Prenez votre temps. Je vais déjà vous servir un vin. Vous m’en direz des nouvelles. Un domaine du Coriançon, en agriculture biodynamique. » Alice était la gentillesse même. « Je n’ai plus rien !… dit-elle à trois Belges qui, épuisés, terminaient leur sortie cycliste. Mais… Je vais réchauffer au four mes petits farcis que j’avais préparés pour moi, ce soir. Vous avez un peu de patience ? Je les fais réchauffer au four, c’est meilleur qu’au micro ondes. »
Ne quittez pas le Luberon sans vous arrêter sur la route de Lourmarin, à l’auberge de la Fénière,chez Reine et GuySammut. Si vous aimez les grandes tables, vous choisissez le restaurant (menu dégustation selon l’inspiration de Reine – 9 services à 125 euros). Ou son bistrot de la Cour de Ferme, comme nous l’avons fait. Je voulais absolument goûter sa cuisine italienne. (mozzarella di buffala, pistou de roquette – raviolis à la ricotta gratinés au parmesan – fromage – bacio au dessert pour 36 euros.) Avec un domaine dela Citadelle blanc qui nous a tellement enchantés que nous sommes allés en acheter au domaine, à Ménerbes. Village superbe. Picasso y avait sa résidence. C’est tout dire.
Avant de quitter Lourmarin, allez au cimetière. Dès l’entrée, on vous indique qu’Albert Camus et Henri Bosco y sont enterrés.
UN PETIT JEU. QUI A DIT?
1/ “C’est cela l’amour, tout donner, tout sacrifier sans espoir de retour.”
2/ « Mais c’est par le sang de nos mères que passent en nous les violences, et toujours une race forte en tire le trait singulier qui lui imprime son génie. »
Réponses au petit jeu.
1/ Albert Camus dans les Justes
2/ Henri Bosco dans Malicroix.
Bonjour,
Je me demande si le menu de Grimod de la Reynière n’est pas plutôt extrait du Manuel des Amphitryons, mais je peux me tromper.
Un grand merci en tout cas pour cette admirable chronique.
Bien cordialement,
Bénédicte
Merci Bénédicte, vous avez raison ! Quel oeil… Si vous cliquez sur le titre, le lien vers notre catalogue vous mène bien vers le Manuel.
Caroline