Ça sent bon la crème et le beurre de Normandie par ici… oubliez le régime Dukan et replongez dans l’univers gourmand de la Comtesse de Ségur !
Tout le monde s’imagine la Comtesse comme une grand-mère gâtant ses petits-enfants, en leur préparant des milliers de gâteaux et de douceurs…l’image se rapproche assez de la vérité. L’imaginaire de la Comtesse est un monde qui fait la part belle à la gastronomie et aux saveurs de l’enfance. D’abord parce que ses romans sont destinés aux enfants, et parce qu’ils mettent en scène des enfants. Mais cet amour de la bonne chère se retrouve aussi à travers des personnages emblématiques tels que le général Dourakine ou des restaurants comme l’Auberge de l’Ange Gardien.
Ces romans ont une grande part autobiographique. De la petite Sophie de Réan, une enfant aussi gloutonne que gourmande, au château de Fleurville, double littéraire de la propriété des Nouettes, en Normandie, appartenant à la famille de Ségur, de la confiture de cerises à la figure du général Dourakine, tout rappelle l’enfance et la vie de l’auteure.
Si la petite Sophie des Malheurs de Sophie a un défaut, c’est bien la gourmandise, ce qui lui joue bien souvent des tours : privée de dîner après avoir dévoré les fruits confits, malade d’avoir trop mangé de pain bis et de crème fraîche, elle engloutit même le pain donné aux chevaux.
“Après le dîner, Madame de Réan appela les enfants.
-Nous allons enfin ouvrir le fameux paquet, dit-elle, et goûter à nos fruits confits.
Madame de Réan coupa la ficelle, défit les papiers qui enveloppaient les fruits et découvrit douze boîtes de fruits confits et de pâtes d’abricots.
-Goûtons-les pour savoir s’ils sont bons, dit-elle en ouvrant une boîte. Prends-en deux, Sophie ; choisis ceux que tu aimeras le mieux. Voici des poires, des prunes, des noix, des abricots, du cédrat, de l’angélique. Sophie hésita un peu ; elle examinait lesquels étaient les plus gros.”
Suite de l’histoire : Sophie dévore les trois quarts de la boîte et se fait gronder (comme souvent…) par sa mère…
Dans les Petites filles modèles (la suite, donc), le thème de la gourmandise occupe une place encore plus importante. Tout comme son prédécesseur, le roman est ponctué par les visites de courtoisie que se rendent les deux familles de Fleurville (les amis de la famille de Réan) et Fichini (la belle-mère de Sophie) : goûters, pique-niques, où Sophie fait toujours preuve d’une certaine gloutonnerie ! Une notion d’ailleurs associée à l’excès : “nous ne mangeons jamais trop car nous savons que la gourmandise est un vilain défaut” (enfin n’exagérons rien…).
Tout comme dans les Malheurs de Sophie, la gourmandise est également liée à la punition (par la figure maternelle, largement inspirée de la propre mère de l’auteur). Sophie est privée de dîner parce qu’elle a trop mangé, voire parce qu’elle s’est rendue malade. Son amie Camille de Fleurville se retrouve quant à elle privée de desserts :
C’est qu’il faut bien avouer que la bonne, la charmante Camille avait un défaut : elle était un peu gourmande ; elle aimait les bonnes choses, et surtout les fruits. Elle savait justement que ce jour-là on devait servir d’excellentes pêches et du raisin que son oncle avait envoyés de Paris. Quelle privation de ne pas goûter à cet excellent dessert dont elle s’était fait une fête ! Elle continuait donc d’avoir les yeux pleins de larmes.
Le roman témoigne de l’abondance du verger du château, tout comme celui de la propriété de la comtesse : de beaux fraisiers, les poires “d’une grosseur et d’une saveur remarquables”, des groseilliers et framboisiers couverts de fruits et des paniers remplis de cerises. L’office, lieu où les domestiques préparent les repas et surtout les goûters, résultats d’ après-midis entiers de cueillette des fruits d’été, a d’ailleurs une place non négligeable dans la trilogie.
Le château de Fleurville est également le cadre des grands repas de famille de la bourgeoisie de province, symboles littéraires de l’évolution des services et du rituel des repas à l’époque de la Comtesse de Ségur, où l’on voit notamment le service à la russe (les plats sont servis un à un, dans un enchaînement établi par l’hôte et parfois restranscrit sur un menu) succéder au service à la française (les plats sont tous présentés simultanément aux invités).
Deux ouvrages publiés à quelques mois d‘intervalle, en 2006 et 2007, reviennent sur le monde nourri de plats et douceurs de la Comtesse de Ségur. A lire et déguster sans modération !
Le premier, La cuisine modèle de la Comtesse de Ségur, de Marie-José Strich, est un « précis de cuisine ségurienne », selon l’académicien Jacques Laurent. Il s’attache à décrire l’amour d’une comtesse pour les plaisirs de la table et le partage, en mettant l’accent sur les éléments de sa vie qui ont forgé le décor de ses romans : la Normandie, la propriété des Nouettes, la vie dans la haute société française, et l’enfance russe. Le tout est agrémenté de citations, de recettes, d’encarts sur l’art de vivre, la cuisine et l’économie domestique de l’époque : déroulement des repas, conservation des aliments, célébration de baptêmes, termes de cuisine, approvisionnement des auberges, etc. ainsi que des recettes. D’ailleurs, l’ouvrage est davantage un essai historique qu’un simple traité de cuisine : aucune illustration, si ce n’est des ornements typographiques (bandeaux, culs-de-lampe) reproduits à partir des ouvrages de Jules Gouffé ou Urbain Dubois.
Le second, Les petites recettes modèles d’Anne Martinetti et François Rivière fait la part belle aux recettes des plats qui sont allègrement saupoudrés au fil des pages de la Bibliothèque rose. Tout en couleurs, il fait littéralement saliver ! tourte aux pêches, saint-honoré, pain de ménage, petit salé au chou sont accompagnés des récits alléchants des pique-nique et repas gargantuesques de l’univers de la comtesse.
Anne Martinetti (que Marie a évoqué dans ses Douceurs noires) est également allée faire un tour du côté des autres petites filles modèles (Fifi Brindacier, les Quatre filles du Docteur March, …) et s’est associée à l’illustratrice Valérie Belmokhtar pour un très joli livre de recettes pour enfants (l’image en haut de l’article, c’est elle !) : clafoutis, mousses, tartelettes au menu…miam !
Recette des pâtes d’abricots (à consommer avec modération, ne faites pas comme Sophie) :
* Préparation : 30 minutes, la veille, et 5 minutes le jour même
* Cuisson : 1h, la veille
Ingrédients (pour environ 30 pâtes d’abricots):
1.5 kg d’abricots
1.5 kg de sucre en poudre (et un peu pour le glaçage)
un peu de beurre pour le moule
La veille, passer les abricots sous l’eau, puis les couper en morceaux et enlever les noyaux. mettre les noyaux dans une petite mousseline pour pouvoir les joindre à la cuisson (cela donne plus de goût) et la fermer par un noeud. Mettre les abricots avec les noyaux et un verre d’eau dans une casserole. Les faire cuire à feu doux pendant 30 min environ, jusqu’à ce que la marmelade devienne bien épaisse. Étaler alors la pâte dans un moule carré et beurré sur 2cm d’épaisseur environ, saupoudrer de sucre et laisser sécher jusqu’au lendemain.
Le jour même, démouler la plaque de pâte d’abricots, découper des carrés ou des rectangles (ou d’autres formes, pour ceux qui ont plein d’emporte-pièces à la maison, comme moi…) et les rouler dans le sucre. Conserver les pâtes de fruits dans une boîte hermétique au réfrigérateur. Elles peuvent être gardées pendant 1 mois.
Séance de rattrapage, si vous ne les avez pas encore lus (Marie ce message est aussi pour toi !) et que vous avez du mal à suivre ce que je vous raconte : Les malheurs de Sophie, Les petites filles modèles, Les vacances, Les bons enfants, Le général Dourakine, L’Auberge de l’Ange-gardien, et bien d’autres, le tout dans la Bibliothèque rose, chez Hachette (et numérisés dans la bibliothèque numérique Gallica).
Mathilde
Bien essayé Mathilde, mais je vais me contenter de lire les livres de recettes dont tu parles dans cet article alléchant ! 😉
Marie