Les 24 et 25 janvier derniers, ce sont les villages de Gilly-les-Cîteaux et Vougeot qui ont accueilli la traditionnelle fête de la Saint Vincent tournante. L’occasion pour nous de revenir sur l’importance de l’ordre cistercien dans le vignoble bourguignon depuis maintenant 900 ans, à travers quelques uns de nos menus… et, bien entendu, de vous montrer quelques belles enluminures illustrant ce savoir-faire si particulier.
L’histoire commence en mars 1098, lorsque l’abbé Robert, accompagné de vingt-et-un moines, quitte l’abbaye de Molesme afin de fonder une nouvelle abbaye, au mode de vie conforme à la règle dictée par saint Benoît. Ils souhaitent en effet revenir à une vie de pauvreté, de dénuement, aux antipodes du modèle imposé par l’abbaye de Cluny, qui connaît à cette époque son heure de gloire.
La même année, à Noël, le duc de Bourgogne Eudes Ier offre à l’abbaye sa toute première vigne, située au cœur de Meursault.
La culture de la vigne trouve tout son sens à Cîteaux. Le vin est tout d’abord nécessaire à l’exercice du culte, tout comme à la consommation des moines. Il est considéré comme un aliment à part entière, aux qualités nourrissantes voire curatives, s’il est consommé avec modération, comme indiqué dans la règle bénédictine :
“Eu égard au tempérament des faibles, nous estimons qu’une émine de vin par jour devrait suffire à chacun. […] Le vin, lit-on, ne convient aucunement aux moines, mais comme il est impossible de nos jours de les en persuader, nous avons consenti à ce qu’ils en boivent modérément et non jusqu’à plus soif, car ‘le vin fait apostasier même les sages'”. (extrait du chapitre 40)
Par ailleurs, la culture de la vigne permet un retour au travail manuel, condition pour être un véritable moine, selon saint Benoît. Cette pratique constitue véritablement une opposition marquée au modèle féodal clunisien, où ce sont les serfs et non les moines qui sont chargés du travail de la terre.
Enfin, comme toute abbaye ou tout monastère, Cîteaux se doit d’offrir l’hospitalité, et donc un abri et de quoi se nourrir à tout voyageur qui en exprimerait le besoin.
Ce don marque la création d’une propriété qui ne cessera de s’accroître jusqu’au début du 15e siècle. L’importance accordée au travail manuel, associée au choix des meilleures parcelles, à une gestion réussie des terres et à un savoir-faire qui ne cesse de s’améliorer, vont assurer la réputation des vins produits à l’abbaye ainsi qu’une certaine stabilité économique, pendant au moins un siècle. La règle bénédictine permet par ailleurs la vente du surplus qui aurait été produit.
Des vins au menu
Mais le but de cet article n’est pas de retracer toute l’histoire de l’économie cistercienne. Un tout petit article ne serait d’ailleurs pas suffisant !
Je n’ai pas encore évoqué le château du Clos de Vougeot, aménagé au 12e siècle pour servir de cellier, et complété au 16e siècle par un corps de logis. C’est là que siège aujourd’hui la Confrérie des Chevaliers du Tastevin, à l’origine de la fête de la Saint-Vincent tournante et des séances de tastevinage. La bibliothèque municipale possède plusieurs centaines de menus des repas des chapitres, des différents tastevinages, de la Saint Vincent tournante ou de repas divers, provenant en partie de la collection de Lucien Boitouzet, critique pour le journal Le Figaro et rédacteur en chef de la revue de la confrérie, Tastevin en main. Parmi cet ensemble, la bibliothèque conserve quelques pièces remarquables, comme le menu du banquet du chapitre général plénier, organisé en 1935. Celui-ci est accompagné d’une carte d’invitation destinée à Curnonsky, critique culinaire français surnommé “le prince des gastronomes”. Nul besoin de préciser que la carte des vins est exceptionnelle…
Manuscrits grands crus
Je n’ai évidemment pas résisté à l’envie de vous parler des manuscrits de Cîteaux, toujours dans le cadre de notre sujet bien sûr (qui a dit que j’étais monomaniaque ?).
L’abbaye de Cîteaux est également connue pour ses manuscrits exceptionnels, dont une partie, datant du 12e siècle, accorde une grande place à l’importance du travail de la terre.
Les tout premiers manuscrits* copiés à l’abbaye de Cîteaux, au début du douzième siècle, sont remarquables pour la vitalité de leurs enluminures. On parle ici de premier style, dit encore style anglais ou naturaliste, sous l’influence d’Etienne Harding, troisième abbé de Cîteaux et véritable réformateur. En effet, scènes inspirées de l’imaginaire fantastique, combats de chevaliers, monstres hybrides et scènes de la vie quotidienne se succèdent. Dans le corps même de lettrines devenues célèbres et souvent reproduites, les moines défrichent, coupent du bois, moissonnent, taillent la vigne et font les vendanges. Les compositions mêlent grappes de vin, ceps de vigne et entrelacs végétaux.
*Environ 300 manuscrits de l’abbaye de Cîteaux, saisis à la Révolution, ont intégré les collections patrimoniales de la bibliothèque. Une centaine d’entre eux, joyaux emblématiques de l’activité de copie au sein de l’abbaye au douzième siècle, ont été numérisés et sont disponibles sur notre portail numérique. Ils ont fait l’objet d’expositions, d’importants travaux de recherche et de publications, et font parfois même des apparitions à la télévision, notamment dans le cadre de l’émission consacrée à la Saint Vincent, diffusée les samedi 24 et dimanche 25 janvier sur France 3 Bourgogne.
En voici quelques échantillons :
Mathilde
Quel article agréable à lire, Mathilde! Quel dommage que votre blog ne soit pas mieux connu!
Mandement de Mr. L’Archevêque de Mayence en 1563
“Que celui qui au 3e ou 4e pot de vin, sent sa raison se troubler au point de ne plus reconnaître sa femme, ses enfants, ses amis et de les maltraiter, s’en tienne à 2 pots, s’il ne veut offenser Dieu et se faire mépriser du prochain. mais que celui qui, après en avoir bu 4, 5 ou 6 reste en était de faire son travail et de se conformer aux commandements de ses supérieurs ecclésiastiques et séculiers, que celui-là absorbe humblement et avec reconnaissance la part que Dieu lui a permis de prendre. Qu’il se garde bien cependant de passer la mesure de 6 pots, car il est rare que la bonté infinie du SEIGNEUR accorde à l’un de ses enfants la faveur qu’il a bien voulu me faire à moi, son serviteur indigne. Je bois 8 pots de vin par jour et personne ne peut dire qu’il m’ait vu livré à une injuste colère, injurier mes parents ou mes connaissances.
Que chacun de vous mes frères se fortifie dans le corps et se réjouisse l’esprit avec la quantité de vin que la bonté divine a voulu lui permettre d’absorber.”