Itadakimasu !, c’est l’expression japonaise qui introduit le repas
On aurait donc tendance à la traduire par “Bon appétit !”, mais ce serait une erreur. Des langues différentes correspondent à des cultures différentes, et les termes ne sont pas parfaitement interchangeables ou strictement traduisibles, comme vous l’avez sans doute déjà remarqué.
Pour en savoir plus sur la cuisine japonaise, au-delà des idées reçues, et sur les liens, culinaires et donc forcément culturels, entre la France et le Japon, nous avons invité un chef qui connaît très bien la question, et pour cause, puisque Laurent Peugeot*, né en Bourgogne et formé notamment chez Lameloise, a vécu et travaillé pendant 5 années au Japon. Nous en avons profité pour le cuisiner, et nous le remercions de s’être prêté au jeu et de nous avoir répondu avec tant d’enthousiasme.
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Première question posée au chef :
qu’a-t-il rapporté avec lui du Japon ?
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Des légumes et des graines, qu’il fait pousser chez son ami Théo, à Beaune (c’est quand même moins loin que le Japon il est vrai). Pour certains produits comme les algues en revanche, c’est plus compliqué ! Pas le choix, on se fournit dans l’archipel directement.
Laurent Peugeot a également ramené du Japon des saveurs et des techniques nouvelles, comme les poissons et crustacés crus, la notion de l’importance de l’achat d’une bonne matière première, et la façon de la traiter : avec le poisson, par exemple, on ne va pas plus loin que 43-45 °C maximum !
Comme en France on n’a pas tellement l’habitude de ces techniques, Laurent a parfois eu droit à des réflexions : on trouve que le plat n’est pas assez chaud ! Aujourd’hui, le chef est heureux de constater que cela est admis. Au bout de 15 ans…
Avoir des chefs japonais en cuisine, ça se passe comment ?
L’équipe du Charlemagne est composée à 40 % de cuisiniers d’origine asiatique et étrangère : une équipe cosmopolite, avec des personnes d’origine japonaise, mais également thaïe, indonésienne ou brésilienne. L’équipe se déplace beaucoup pour former, conseiller ceux qui souhaitent développer une cuisine fusionnant les arts culinaires asiatique et européen, les aider dans cette mise en place grâce à leur expérience.
Mais qu’est-ce qui fait venir les chefs japonais en France ?
Les produits du terroir ! Le vin, les fromages, les truffes… Au Japon, il y a déjà eu des tentatives de fabriquer du roquefort, de récolter des truffes… sans résultat satisfaisant. Un pays extraordinaire, donc, mais aussi un système français qui n’existe pas au Japon, où l’on a droit à 1 jour de congé par semaine et à 11 jours de vacances par an. Au Japon comme en France, cependant, les chefs propriétaires de restaurant ne prennent guère de vacances, mais leur travail peut les amener à voyager autour du monde.
Existe t-il un goût français et un goût japonais ? Qu’est-ce que l’umami par exemple ? Et le goût du sucré, est-il très présent au Japon ?
L’umami est comme une sorte de 6e sens… on y croit ou on n’y croit pas ! C’est le sens déclenché par l’amertume, par l’acidité des agrumes comme le yuzu… c’est difficile à expliquer ! Quant au sucré, ça n’existe pas vraiment. Du moins pas comme en Occident, où l’on retrouve le principe du dessert et toute une culture pâtissière. Au Japon, on travaille plutôt le sucré dans les produits. Par exemple avec une très bonne tomate, la variété momotaro – là je suis obligée de penser au Totomato d’un auteur dont Mathilde vous a déjà parlé : Guillaume Long. On travaille aussi la fraise, et on mange des mochi, “gâteaux” à base de pâte de riz cuit longuement, qui peuvent être fourrés. La pâtisserie française est cependant très présente dans le pays : Gillotte est implanté à Tokyo, tout comme Lenôtre, Hermé… Le chocolat est un business incroyable lors de la Saint-Valentin, beaucoup plus même qu’en France ! On le découvre d’ailleurs à travers les mangas culinaires, en particulier Heartbroken Chocolatier, qui raconte la passion d’un jeune japonais pour le chocolat et son parcours et son travail de création.
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cuisine japonaise et cuisine française : quel mélange au quotidien ?
Pour Laurent Peugeot, c’est devenu évident avec le temps, car il a travaillé son palais en ce sens. Maintenant, il s’efforce de faire découvrir à ses clients les différences de culture, à travers notamment les saveurs subtiles du bouillon, de la sauce soja, du cru… qui viennent remplacer les plus traditionnelles sauces montées au beurre. Cela lui permet de proposer un menu composé de 12 plats… dont on mange le dessert !
au-delà de la cuisine et de l’assiette : l’ambiance
Chez Lameloise, Laurent a toujours entendu que les contenants n’étaient pas nécessaires, pas l’essentiel. Lui a choisi de travailler plutôt dans l’autre sens, et d’imaginer et réaliser un plat en partant de son contenant. À cela s’ajoute un travail de la lumière et de la mise en scène, toujours de façon à mettre en valeur le produit. Au restaurant, le 1er sens qui entre en jeu est la vue : il faut le prendre en compte ! Tous les sens préparent celui du goût. Il existe au Japon des études sur cette question : si vous êtes impatient d’aller au restaurant, tout va vous parler, tous les sens vont vous parler. Au Japon, vous êtes mis en condition pour tout apprécier.
1 étoile décernée par le guide Michelin…
Notre chef a appris qu’il était étoilé… dans un camion, par un jour de travaux, en compagnie de son père électricien… C’était le début, et il faisait tout lui même. C’est un vigneron qui passait par là qui lui a annoncé l’étoile : l’équipe du guide Michelin n’avait pas encore pour habitude de téléphoner. L’étoile, c’est le résultat du travail de toute une équipe, une satisfaction collective, et ça permet d’avancer vite. C’est aussi une épée de Damoclès au-dessus de soi, une pression importante, avec le risque de la perdre. Elle pousse à se remettre toujours en question !
les produits du potager, l’importance des ingrédients
Enfant, Laurent Peugeot profitait pendant les vacances du potager de sa grand-mère : “C’était là où on faisait les haricots. On cueillait les légumes et on jardinait avec la lune avec le grand-père, puis on cuisinait avec la grand-mère, à la cocotte. C’était le démarrage !” Le chef n’a pas vraiment d’ingrédients favoris, mais s’il devait vraiment en choisir un ce serait, pour la France, la tomate, la “vraie tomate”, les variétés anciennes, notamment avec ses fournisseurs de légumes, la tribu Loubet : des tomates vertes (même mûres), violettes, noires… dans le respect des saisons. Peut-être aussi le mont d’or ou la burrata, mais sinon, pas vraiment de produit favori.
on parle beaucoup du bœuf japonais ces derniers temps !
On parle en réalité surtout du wagyu, qui est une race que l’on retrouve aussi en France ou en Espagne. Il est enfermé, il est massé, il écoute de la musique et boit de la bière… certains aimeraient être à sa place ! Cette forme d’élevage est en même temps critiquée, du fait de l’enfermement des animaux. C’est une viand très persillée – elle contient autant de gras que de chair – qui repose jusqu’à 180 jours en chambre froide avant d’être consommée. La cuisson la plus appropriée est certainement le teppanyaki. On en trouve à la carte du Charlemagne (la variété “qui a de la mâche”), où l’on trouve aussi du charolais.
une dégustation entre France et Japon
financiers au wasabi – on avait d’abord jeté notre dévolu sur les escargots de Bourgogne en tempura mais frire dans la salle de lecture de la bibliothèque… euh, non.
caviar d’aubergines aux copeaux de légumes, accompagné selon la volonté de chacun d’un cocktail yuzu-saké préparé au siphon (conseil du chef : à tester aussi avec un crémant !)
tartare de thon rouge – d’élevage, car l’espèce est menacée – à la vinaigrette miso-sésame
tataki de bœuf – à savoir une viande crue marinée dans une sauce au mirin
3 macarons différents : yuzu, cet agrume japonais que l’on pourrait situer entre le citron vert et la mandarine, si délicat ; thé vert, classique mais toujours efficace ; chocolat blanc azuki – pâte de haricots rouges sucrée très populaire au Japon (et dans ma cuisine).
Pour l’occasion, la salle de lecture de la bibliothèque patrimoniale s’est parée de photographies contemporaines : 8 œuvres sélectionnées parmi celles de l’association Photographes pour le Japon, complétant ainsi la découverte intellectuelle et gustative de ce pays. Nous remercions donc également l’association d’avoir accepté que l’on accroche de nouveau ces œuvres, acquises dans le cadre d’une exposition à la bibliothèque de la Fontaine d’Ouche et qui ont désormais rejoint les collections patrimoniales dijonnaises. Les photographies sont accompagnées d’un ouvrage réalisé par l’association et vendu au profit des victimes du séisme de Tohoku du 11 mars 2011. Une vitrine permettait également de découvrir des livres d’artistes japonais (visible en salle de lecture jusqu’à la fin septembre).
pour en savoir plus : à voir, à lire, à écouter…
Laurent Peugeot n’a pas (encore ?) écrit son livre de chef, mais vous pouvez le retrouver en interview et en cuisine dans le n° 32 de la revue Arts & Gastronomie, l’art de vivre au fil des saisons, dans l’émission télévisée Le meilleur menu de France (Laurent défend la Bourgogne lors de la semaine consacrée au Nord-Est, diffusée entre le 17 et le 21 août 2015) et en live sur le site Internet de son restaurant, Le Charlemagne (tout en bas de la page, le chef en cuisine à travers le monde !).
Dans Chefs japonais, cuisine française, François Simon et Ryoko Sekiguchi discutent de “la rencontre de deux fascinations réciproques”. Vous pouvez les écouter dans la rediffusion de l’émission de France Culture On ne parle pas la bouche pleine du 15 juillet 2015.
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De Ryoko Sekiguchi également, L’Astringent, pour entrer un peu plus dans l’imaginaire japonais autour de la question du goût… et pas que, ou encore Paris-Tokyo, dialogue des sens, par Laurent Feneau chez Menu fretin. Par Chihiro Masui, qui vient nous rendre visite le 10 octobre <mode super fan : on>, le très beau Toyo, cuisine parisienne, saveurs japonaises, et sur un restaurant japonais qui propose de la cuisine française : Noriyuki Hamada, restaurant Yukawatan.
À propos des goûts et des produits : Umami, unlocking the secrets of the fifth taste, par Ole Mouritsen, Wagashi, de Minori Kai, sur les gâteaux et friandises traditionnels japonais, Asafumi Yamashita, maraîcher trois étoiles, écrit en collaboration avec les chefs français (et, vous l’aurez compris, étoilés) qui se fournissent chez ce maraîcher, et Tsukiji, le plus grand marché aux poissons du monde – le marché aux poissons de Tokyo – par Philippe Delacourcelle et Franck Landron.
Enfin, pour les plus jeunes, une belle découverte culturelle avec Madame Mo, les fêtes japonaises : histoires, recettes et petits bricolages.
* Ceci n’était pas une astérisque mais signifie que nous parlons d’un chef étoilé par le guide Michelin – c’est la convention.
Marie, d’après les propos de Laurent Peugeot recueillis lors de la conférence
Dans ce maelström d’informations, de couleurs, de goûts, de belles choses, je retiens que:
* Les Japonais sont davantage amoureux que les Français puisqu’ils consomment plus de chocolats que nous à la Saint-Valentin.
* Si les Français ont 7 péchés, les Japonais ont 6 sens.
* La burrata italienne est le péché mignon de Laurent Peugeot
* Les bœufs japonais ont bien plus de chance que nos veaux, vaches cochons à la française!
* Charlemagne Dort, Dîne, Erre à Pernand-Vergelesses
* Ceci n’est pas une astérisque mais des étoiles pour vous Marie qui nous donnez à lire ce beau billet.
Merci Mireille, comme toujours je lis votre prose avec un grand plaisir.
Et j’aime beaucoup la façon dont avez reçu ce billet.
A très bientôt,
Marie
Après le totomato, les…yakuzus !! 😉
http://long.blog.lemonde.fr/2014/12/29/yakuzas-yuzus/
Mathilde
Du coup je suis obligée…
http://long.blog.lemonde.fr/2014/12/25/y-comme-yuzu/
Maintenant on a des yakuzus plein le bureau, c’est malin. 😉
Marie
Ouverture d’esprit maximale : ou comment, grâce à Laurent Peugeot, aux questions de Marie et à la dégustation, apprendre que la cuisine japonaise, non ce n’est pas que sushis et makis, oui c’est un terroir avec des produits – tout nouveaux pour moi – dont la noblesse et les qualités gustatives sont respectées. Bref, “Apprenez à déguster” porte bien son ptit nom !
PS: j’ai craqué pour le macaron au yuzu 😉
Oui oui oui ! C’est bien ça ! Merci Anne-Lise, ça veut dire que nous avons réussi à faire passer le message et découvrir cette culture culinaire !
A très bientôt pour de nouvelles aventures gourmandes,
Marie
P.S : ah le yuzu…