Depuis plus d’un an, nous guettions une ruche installée dans la grange de ma grand-mère. Comme les temps sont durs pour les abeilles et que celles-ci avaient l’air mal en point, R. les a nourries cet hiver avec du sucre de canne délayé dans de l’eau, sur les conseils d’un collègue bibliothécaire-apiculteur-collectionneur de littérature apicole (dont le portrait viendra bientôt !). Malheureusement, ça n’a pas suffi et les abeilles ont déserté.
Alors pendant le week-end de Pâques, on a fait séance de sciences nat’ avec les enfants et on a enlevé les rayons pour les observer. Et là… miracle, du miel en coulait encore !
Après que chacun eut trempé son doigt dedans, ça aurait été ballot de ne pas en profiter davantage… mais sans équipement, ça reste artisanal.
Les apiculteurs disposent de cadres alors que notre miel est à l’état sauvage, cadres qu’on peut étendre pour que le miel s’écoule. Ils ont aussi une centrifugeuse pour faciliter l’opération. Alors que ce qu’on a fait n’est pas très… orthodoxe ! En mettant le miel et les morceaux de rayons dans une casserole au bain marie très très doux, puis en passant le tout au chinois, on a pu récupérer quelques petits pots d’un mélange de miel et de cire. Un peu trouble et avec quelques morceaux de rayon mais notre miel !
Et voici le résultat, un miel liquide, doré, avec une couche blanche de cire qui se reconstitue à la surface et qui croque dans la tisane au tilleul, un miel très doux mais quand même parfumé des fleurs du jardin et des champs alentours !
Bien sûr, c’est l’occasion pour Happy Apicius de parler livres et pas seulement de vous raconter mes occupations dominicales.
Il existe de très nombreux livres sur le miel et ses bienfaits, le miel et ses recettes et même des manuels d’apiculture.
Un petit intermède en latin pour commencer…
Qui te, Pollio, amat, veniat quo te quoque gaudet ;
mella fluant illi, ferat et rubus asper amomum.
Que celui qui t’aime, Pollion, parvienne là où il est heureux de te voir arrivé ! Que pour lui le miel coule en ruisseaux, et que la ronce piquante produise l’amome.
C’est Damète qui parle à Ménalque au moment de leur joute poétique, dans la IIIe Bucolique de Virgile (dans la traduction d’un bon vieux Budé de 1925).
Et voici les tout premiers vers des Géorgiques du même Virgile, texte poétique sur la culture de la terre (traduction Budé, 1982) :
Quid faciat laetas segetes, quo sidere terram uertere, Maecenas, ulmisque adiungere uitis conveniat, quae cura boum, qui cultus habendo sit pecori, apibus quanta experientia parcis, hinc canere incipiam.
Ce qui fait les grasses moissons, sous quelle constellation, mécène, il convient de retourner la terre et d’unir les vignes aux ormeaux ; quelle sollicitude exigent les bœufs, quels soins l’élevage du petit bétail, quelle expérience les abeilles économes, voilà ce que je vais me mettre à chanter.
Au fait : apis, is, nom féminin = l’abeille
Pour continuer, je vous propose quelques recettes du 18e siècle, tirées du Cannaméliste français, paru à Nancy, et qui est un dictionnaire consacré à l’office, c’est-à-dire au travail du sucré (cannamelle est le nom ancien de la canne à sucre). On trouve bien sûr une entrée à MIEL, que vous trouvez reproduite ci-dessous. L’édition de 1768 est numérisée sur Gallica.
Et voici quelques recettes :
MELLAROSE, est un petit fruit d’odeur semblable à une petite orange, & de la couleur du citron, quoiqu’un peu plus foncée ; ce fruit provient d’une branche de bergamotte entée sur un oranger : on le confit comme les autres fruits d’odeur.
Mellarose, est une boisson qui approche beaucoup de la limonade.
Manière de la faire
Vous mettrez quatre pintes d’eau fraiche dans une terrine, & y zesterez un cedra, deux oranges, une bergamotte, quatre citrons ; vous y exprimerez le jus de ces fruits, & ajouterez encore le jus de deux citrons ; au lieu de sucre, vous y mettrez du miel de Narbonne à votre goût ; battez bien le tout ensemble ; passez-le par une étamine, & le mettez dans des bouteilles. Lorsque l’on a des mellaroses, on ne met point de cedra ni de bergamotte.MELIMELUM, est une confiture de coings ou de pommes, que les anciens faisoient avec le miel des abeilles. L’on fait cette confiture de la même manière que l’on confit le coing, à l’exception que l’on se sert de miel au lieu de sucre.
Melimelum vient du mot latin de mel & et de malum, qui veut dire miel & pomme.
Pour terminer avec les recettes du Cannaméliste, je ne pouvais faire autrement (nous sommes à Dijon quand même !) que de vous donner celle du pain d’épice…
PAIN-d’épice. Mettez dans une terrine trois livres de belle farine, & deux livres de sucre en poudre, avec du cloux de girofle, de la canelle, de la coriandre & de la muscade, de chaque espèce un quart d’once, que vous reduirez en poudre, & passerez par un tamis ; ajoutez-y une once de rapure de citron, & une once de citron verd confit, que vous couperez par petits morceaux, avec une livre et demie d’amandes douces pralinées au blanc. Quand vous aurez ainsi tout ceci préparé, faites boüillir une pinte de miel de Narbonne, dans lequel vous jetterez une goutte d’esprit-de-vin ; sitôt que vous le verrez boüillir, ôtez-le tout-de-suite du feu, & versez-le sur votre farine, où vous aurez mis tout ce que j’ai marqué ci-devant ; délayez le tout ensemble avec une spatule pendant l’espace d’une heure ; mettez votre pâte sur une table, & donnez à vos pains-d’épices, telle figure qu’il vous plaira ; dressez-les sur des feüilles de papier, lesquelles vous poudrerez auparavant de farine ; faites-les cuire à un feu doux ; pour les lever, laissez-les refroidir ; brossez-les, & les glacez de même que les biscuits à l’Allemande apellés Listlen. Comme les pains-d’épices, pour être bons, dépendent des goûts, l’on peut modérer les épices, & l’on peut se servir de toutes sortes d’écorces confites, & mêmes y mettre des dragées.
Parmi les livres les plus récents, il y en a un (Le miel, un livre gourmand de Sylvie Girard-Lagorce chez Minerva) qui est à la fois très beau avec des photos léchées, très instructif sans entrer trop dans les détails si votre objectif n’est pas de vous lancer dans la construction d’une ruche, et très gourmand puisque qu’après chaque chapitre il offre un choix de recettes variées, par exemple :
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Des recettes d’antan (canette à l’hydromel et au miel de sapin ; crème au miel et au safran) après le chapitre “Aux origines du miel” où vous apprendrez que la plus ancienne preuve d’existence des abeilles est un insecte fossilisé dans un morceau d’ambre de la Baltique daté de plus de 60 millions d’années.
- Des recettes d’ailleurs (tajine d’agneau aux oignons, aux raisins et au miel, cailles farcies aux raisins et au miel d’aubépine après le chapitre “Les territoires gourmands du miel” où vous apprendrez que les fèves au lard québécoises sont mijotées avec des oignons hachés puis agrémentées d’un mélange de miel, de moutarde et d’aromates.
- Des recettes d’ici (soupe de châtaignes au miel, filet mignon à la moutarde et au miel de serpolet, gâteau amandin au miel de blé noir) après le chapitre “Un don de la nature” où vous apprendrez que le mot ruche vient du gaulois rusca (écorce) et que ces mêmes Gaulois réalisaient des ruches soit en creusant un tronc d’arbre pour y installer un essaim sauvage capturé soit en assemblant des écorces de chêne-liège.
- Des recettes de toujours (pommes rôties au miel de pommier, muesli au miel) après le chapitre “Couleurs, saveurs et textures” où vous apprendrez qu’on définit la couleur d’un miel à l’aide d’une échelle qui va de 1 (le plus clair, par exemple le miel d’aubépine) à 14 (le plus foncé comme le miel de chêne) ou encore qu’il existe du miel d’avocatier, de mangrove, d’eucalyptus, de lierre, de rhododendron, de litchi et de sarrasin…
- Des recettes insolites (papillotes de fruits au miel de thym, blancs de turbot au vinaigre de cidre et au miel) après le chapitre “Contes et légendes du miel et des abeilles” où vous découvrirez qu’on a longtemps cru que les abeilles naissaient par génération spontanée d’une charogne, qu’une croyance populaire veut que voir voler des abeilles autour du visage d’un jeune enfant est signe d’une vie heureuse à venir ou encore que pour les Mayas les abeilles sont nées de la Ruche universelle au centre de la terre.
- Des recettes de bien-être (eau de miel calmante, savon au miel et à la lavande) après le chapitre “Les bienfaits du miel” où vous découvrirez que le philosophe grec Démocrite d’Abdère attribuait au miel sa longévité et que, arrivé au seuil de la mort, il la repoussa de quelques jours en respirant un pot de miel ou encore que les Vénitiennes usaient d’une pâte de toilette composée de miel, glycérine, savon en poudre et benjoin.
A bientôt pour le portrait d’un apiculteur-bibliothécaire !
Caroline
Il me semblait bien que la Haute-Patate (j’aurais aimé utilisé l’italique…) était le pays de Canaan où coulent le lait et le miel! (j’aurais aimé utilisé le petit émoticône rigolant…)
La table de pierre devant la grange aux abeilles est un ancien évier de cuisine sur lequel trois petites filles et maintenant deux petits garçons concoctent des breuvages magiques à base d’herbes, de fleurs, de baves de limaces et de queues de lézards!
Quant au vieux pommier qui ombre la table de pierre, il n’en finit pas de vieillir. Nul ne sait son âge. Il appartenait autrefois à la Berthe qui lorsqu’elle avait encore ses dents, devait croquer allègrement sa pomme. Aujourd’hui, sa récolte est toujours abondante et tous les soirs de tous les hivers que Dieu fait, nous croquons une de ses vieilles pommes qui reviennent à la mode et que les bobos de Dijon (j’aurais aimé utilisé les guillemets…) achètent à prix d’or sur les marchés.
Une pomme + une cuillère de miel = deux petits bonheurs.
Dans LA CUISINE DE LA BIBLE de Ruth Keenan (menus inspirés de l’Ancien testament), le miel est souvent présent.
– salade au miel
– magret de canard à la sauce au vin et au miel
– boisson au lait, aux œufs et au miel
– boissons aux citrons et au miel
– grains de blé grillés au yaourt et au miel
– rouleaux aux figues, raisins secs et miel
– petits pains au lait et au miel
Et puis ne pas oublier une bonne cuillère de miel dans un grog en ces temps où l’ambroisie (quel magnifique nom pourtant!…) réveille nos allergies. Mieux qu’un antihistaminique. Tous les allergologues vous le diront.
Il suffit d’y croire, bien souvent…
Bravo pour cette récolte peu orthodoxe mais efficace… je pense que vous devriez installer une vieille ruche où je suis persuadé qu’un essaim viendrait s’enrucher tout seul… et vous pourriez continuer votre nouvelle carrière d’apiculteur… et déguster un miel toutes fleurs de qualité !
Merci Jean-Luc ! C’est assez tentant en effet mais je ne suis pas sûre d’être aussi enthousiaste face à des centaines d’abeilles ! Si je pouvais, je mettrais mes ruches dans un verger de mirabelliers ou dans une roseraie pour goûter une nouvelle saveur…
Caroline
Bonne idée d’installer des ruches au milieu des mirabelliers mais chez un petit arboriculteur car gare aux multiples traitements reçus par les arbres fruitiers… quant à la roseraie, il me semble que les avettes ne sont pas attirées par cette fleur qui ne doit pas être très mellifère… depuis quelque temps nous avons vu réapparaître une céréale qui avait disparue depuis très longtemps : le sarrazin… plante très mellifère qui donne un miel avec un goût très fort (trop pour beaucoup d’amateurs…). Il me semble avoir lu dans la revue ‘le miel bourguignon’ 1905-1909 que ce miel était utilisé pour la production de pain d’épice dijonnais au début du 20e et importe de Bretagne à Dijon dans des tonneaux… :300 000 kgs de miel de sarrazin était utilisé chaque année à Dijon soit 1000 tonneaux…
Voici une recette simple d’un gâteau au miel :
Ingrédients pour 4 personnes :
– 250 g de farine
– 125 g de miel
– 100 g de sucre
– 10 cl d’eau chaude
– 1 sachet de levure
Préparation :
Mélanger le sucre et le miel dans l’eau chaude (mais pas bouillante).
Ajouter la farine et la levure.
Enfourner 1h30 à 150°C.
Bon Happy apis-tit !