Dans cet article, vous découvriez les livres de recettes de 1914-1918. Pour compléter le panorama alimentaire de l’époque de la guerre, voici un aperçu des menus que l’on voyait sur les tables. Ces petits documents sont toujours plus informatifs et moins anecdotiques qu’il n’y paraît à première vue ; ils renseignent bien sûr sur ce qu’on pouvait manger à telle ou telle occasion mais aussi sur l’état d’esprit des Français : il est très fréquent d’y trouver des allusions au contexte à travers l’iconographie, les noms des plats détournés ou des mentions manuscrites.
La bibliothèque municipale de Dijon a fait un état des menus en lien avec la guerre conservés dans ses collections et, depuis 3 ans, nous en achetons et récoltons de nombreux autres. Ils sont tous numérisés et consultables sur une base dédiée ici.
Avant 1914
Dès avant 1914, le contexte particulier apparaît sur les menus, que ce soit l’importance du phénomène militaire et de la figure du soldat (dans les menus populaires) ou la politique internationale (dans les menus officiels).
Sur le menu de gauche, qui appartient à une série de trois racontant l’histoire de deux soldats étourdis se croisant dans un escalier et finissant par tomber, l’un des pioupious tient une soupière fumante ; il est sur le point de croiser son camarade… Tous deux portent le fameux pantalon rouge qui sera supprimé en 1915. Le menu date du 27 février 1900, à l’occasion de Mardi gras.
Le menu qui lui fait face est bien plus prestigieux puisqu’il s’agit d’une réception offerte au roi d’Angleterre George V par le président français Poincaré le 21 avril 1914 et marquant les accords entre les deux pays. La couverture représente une allégorie de l’Entente cordiale portant les deux drapeaux devant le palais de l’Elysée. Parmi les 17 plats qui composaient le repas, le souverain et le président purent déguster un potage tortue claire, une mousseline de volaille, des croustades à la Montglas, des truites saumonées de la Loire, de l’agneau de Pauillac Massenet, des suprêmes de gélinottes, des noisettes de foie gras à la gelée, des poulardes de la Bresse truffées à la broche, des petits jambons glacés au Marsala, une salade Montfermeil, des asperges en branches sauce crème, des champignons de rosée à la meunière, une glace Francillon, des petits palmiers et des desserts pour finir.
De la période de guerre précisément, on conserve des menus de soldats, des menus officiels, des menus de l’arrière, et même des menus de prisonniers.
Pendant la guerre, menus de soldats
Sur ces menus, les sentiments que pouvaient ressentir les poilus apparaissent dans toute leur variété et tout leur contraste. Certains sont emplis de l’espoir que la guerre sera courte et laissent transparaître un profond désir de paix. Souvent plus fanfarons, comme pour défier le sort, ils font aussi preuve de mépris pour l’ennemi allemand en le décrivant comme un piètre combattant, un couard qui se rend ou s’enfuit ou un petit cochon jouet de son empereur, comme sur le menu ci-dessus (23 février 1915). D’autres encore sont simplement patriotiques, utilisant la symbolique de la république, du drapeau, de la levée en masse, comme sur ce beau menu où un coq triomphant d’un casque à pointe chante, au bout d’un chemin semé de fleurs tricolores (14 juillet 1916). Enfin, certains montrent surtout l’envie de penser à autre chose et de retourner à la normalité. Sur ce menu daté du 24 juin 1917, un poilu entre dans une guitoune comme s’il servait dans un restaurant parisien, assiette bien à plat sur sa main et serviette au bras (24 juin 1917).
Menus de l’arrière
A l’arrière, certains menus ne sont en rien différents de ceux d’avant ou d’après-guerre, les Français se réservant quelques parenthèses festives à l’occasion des baptêmes, des mariages, communions ou autres retrouvailles. Mais beaucoup sont marqués. Le menu de gauche est celui du déjeuner des Iliers : à Dijon, 28 îlots chargés du ravitaillement civil à destination des plus démunis, gérés par des conseillers municipaux, sont mis en place, sorte de cantines populaires distribuant des rations d’aliments cuits aux plus nécessiteux. Les “îliers”, personnel travaillant dans les îlots, distribuent 800 repas chaque jour ; ce déjeuner du 18 mars 1915 les remercie de leur travail.
Le second menu garde la mémoire d’une des réunions du Vieux Papier, association de collectionneurs d’éphémères, le 25 mars 1917. Les membres continuent à se retrouver pour des causeries suivies de repas mais ces causeries évoquent la guerre et les repas sont moins gourmands que quelques années auparavant. L’association montre son civisme et son patriotisme en adaptant l’iconographie et les textes de ses menus. Sur celui-ci, l’image est un dessin de Poulbot sensibilisant les enfants aux difficultés du ravitaillement et à la nécessité des économies : “Ceux qu’ont pas fait de provision de pain tendre aujourd’hui mangeront du rassis demain”. Il porte par ailleurs la mention “Conforme à l’arrêté ministériel du 25 janvier 1917” qui rappelle qu’une législation spécifique aux restaurants et commerces de bouche devait permettre d’éviter une utilisation superflue des denrées devenues rares ; il propose : “le hors-d’œuvre limité à quatre sortes, le plat de viande, l’autre plat, le fromage, dessert”. A l’issue était offerte aux convives une visite des musée et bibliothèque de la guerre sur invitation de M. et Madame Henri Leblanc, c’est-à-dire l’actuelle BDIC.
Après la guerre
La guerre reste présente dans le paysage, les esprits, l’économie… longtemps après 1918. De nombreux repas fêteront l’armistice et la fin du conflit à tous les niveaux de la société, dans l’armée et les milieux officiels bien sûr mais aussi parmi les associations. Il y a surtout beaucoup d’allusions à la guerre lors des réunions de classes et d’anciens combattants : le 3 avril 1921, un banquet de la classe 1891 (les jeunes gens qui avaient 20 ans à cette date) rend hommage au poilu de 1914 (ci-dessus). Le 14 mars 1936, la fête annuelle de l’Edelweiss (amicale des anciens chasseurs des bataillons alpins de Savoie-Dauphiné) illustre son menu avec une scène représentant la libération d’un village alsacien.
Le troisième menu ci-dessus, daté du 31 mars 1928, mémoire encore d’un banquet de classes, est tout autant marqué par la guerre mais beaucoup plus difficile à interpréter : que signifie l’air étonné du soldat chenu ? Se dit-il que rien ne change et que les bébés d’aujourd’hui sont la chair à canon de demain ? Le propos est-il plus grivois face à cette nourrice qui ne cache pas son sein ? Ou se demande-t-il qui est le père de cet enfant alors que les maris sont au front ?
Pour finir, voici un menu dont l’origine est inconnue, peut-être une copie tardive, qui témoigne de l’utilisation de la terminologie des plats pour se moquer de l’ennemi :
Sur le même sujet, voir la sélection faite sur le site de la Mission Centenaire.
Caroline
Commentaires sur les réseaux sociaux
Commentaires sur les réseaux sociaux
1 Reponse
(Vos commentaires seront modérés)