Les pirates, corsaires et autres flibustiers (1) passent leur temps, c’est bien connu, à dresser pavillon noir, promener jambe de bois et perroquet retors, à planquer des trésors sur des cartes et surtout à sillonner les mers en beuglant “À l’abordage !” avant de se ruer, sabre au clair, à l’assaut des navires marchands.
On oublie trop souvent que ces brigands des mers ont, comme tout le monde, un estomac, et que le rhum ne suffit pas à être en forme pour tous ces amusements. Le rhum, d’ailleurs, s’il est aujourd’hui indissociable de l’imaginaire de la piraterie, n’est en réalité apparu qu’à la fin du 18e siècle, époque où elle décline déjà fortement.
Mais alors, qu’est-ce qu’on mange ? Pour la cambuse (2) du Black Pearl, il faudra demander à Jack Sparrow, pour le reste, quelques auteurs ont creusé la question pour nous.
Melani le Bris publie chez Phébus, dans la collection d’ailleurs, La cuisine des flibustiers. Émaillées d’anecdotes et de variantes, les recettes que nous conte cette historienne et cuisinière mettent l’eau à la bouche, tout en démontrant que cette cuisine des îles a inspiré la cuisine actuelle, en se diffusant tout autour du monde. On y apprend que les pirates ont besoin de terres pour constituer leurs réserves de nourriture, et qu’ils on inventé une cuisine à leur mesure, adaptée à leurs besoins : longue conservation en mer, ce qui ne surprend pas, mais aussi cuisine raffinée, réservée aux festins de ces inattendus (oubliés ?) fins gourmets : marinade de tazard au lait de coco, crabes farcis… Ils ne manquaient pas d’épices, bien sûr, denrée alors rare et chère s’il en était : pimentade des boucaniers, ragoût de bœuf aux épices, acras… Intrépides au combat et sur mer, ils semblent également avoir été de palais sans peur, et inventeurs de cocktails – comme disent les marins d’eau douce d’aujourd’hui – à vous faire sauter le tricorne : sangarce, vin d’ananas, punch planteur, shrubb...
Les recettes testées et livrées par Melani Le Bris ont été dénichées dans des livres de cuisine des îles et d’histoire, et mises au goût du jour et de la métropole, en particulier en ce qui concerne les ingrédients ; en effet, si vous échouez à mettre le crochet sur des crabes de terre de Martinique, vous êtes invité à les remplacer par des tourteaux.
Dans leur cuisine des pirates : 50 recettes au bon goût d’aventure, Gilles et Laurence Laurendon nous rappellent que la cuisine étant surtout connue par ses sources écrites, c’est la grande cuisine royale et seigneuriale qui a laissé le plus de traces dans l’histoire, sans que cela nous permette de conclure qu’il n’en existait pas d’autres (ça peut toujours être utile de le rappeler). Ainsi de la cuisine des pirates, qu’on supposerait en effet, à l’image des capitaines de la flibuste (du moins l’image que nous en avons bien souvent), frustre et vulgaire. bien sûr, c’est ainsi qu’elle est décrite par nombre de témoignages, notamment par l’auteur anonyme d’Un flibustier français dans la mer des Antilles (manuscrit du début du 17e siècle) ou Daniel Defoe dans son Histoire générale des plus fameux pirates, publiée initialement en 1724.
C’est oublier que brigandage et pillage signifient aussi voyages, échanges et découverte de nombreux produits… qui se cuisinent et se mangent ! Nous avons déjà évoqué les épices, restent les ananas, chouchoutes, tortue, patate douce… chocolat, épices et vanille apportés par les corsaires français… et diffusion de techniques de fumage (viande et poisson, mais nous y reviendrons), et ces mêmes sources, entre autres, nous le rappellent.
Les recettes s’accompagnent d’une bibliographie de sources anciennes et de documents contemporains. Elles sont ici classées par types de produits : soupe de haricots noirs, rougail de papaye verte, patates douces au lard et au thym, brochette de poulet à l’ananas et au poivron rouge, jambalaya rouge, eau de coco verte ou chocolat brûlot…
Le rayon jeunesse n’est pas bien sûr pas en reste, et quelques éditeurs proposent des aventures palpitantes et drôles, accompagnées d’infos sur le monde la piraterie et ses trésors gourmands.
Gustave, le pirate apprenti cuisinier nous embarque à bord du Calamar Affamé, sur la mer des Caraïbes. Le jeune marmiton de Margaux Allard se doit de remplacer au pied levé Merlan Frit, passé par dessus-bord par le capitaine Morfal pour un crime odieux : il a raté les œufs à la diable du matin ! Gustave quitte donc sa cambuse pour une barque, à la recherche du repas du soir pour les pirates. Aidé par un poulpe qui s’avère finalement plus utile aux fourneaux qu’en brochettes, Gustave sillonne les Caraïbes, croise des boucaniers et une grotte au trésor… de pièces en chocolat !
De retour sur le Calamar Affamé, juste à temps pour empêcher l’équipage de grignoter les cordages, Gustave propose au menu : cigares aux crevettes d’Octo Poulpe, brochettes de Mama Murcia (en cadeau sur le site de l’éditeur), petits choco fondants et crème de banane du gardien de l’ile au chocolat. Ces recettes, ainsi que celle des œufs à la diable du capitaine Morfal, sont explicitées dans le cours du récit. En fin d’ouvrage, quelques infos sur la cuisine des pirates : on apprend par exemple que les boucaniers tirent leur nom du boucan, une technique de cuisson de la viande (en particulier le bœuf et le cochon sauvage) découpée en fines lanières et cuite sur un gril en bois. J’ajoute que les boucans ont appris ce procédé des Indiens Arawak et que c’est seulement suite à la raréfaction du gibier qui les faisait vivre (viande et commerce des peaux) qu’ils sont devenus des brigands des mers. On découvre également qu’en mer, les pirates emportent comme réserves de nourriture des animaux vivants, mais pas de lapins, car ils portent malheur – et rongent les cordages.
Quand je sillonne les mers de l’édition culinaire à la recherche des futurs trésors du fonds gourmand – attention je raconte ma vie de bibliothécaire gourmande – je m’efforce de partir à l’aventure dans les archipels de la petite édition, histoire de dénicher quelques pépites qu’on ne trouve pas à la librairie du coin. C’est d’autant plus important quand il s’agit de rédiger un billet sur une thématique sortant un peu de l’ordinaire.
Ces aventures sont bien souvent l’occasion de belles rencontres et découvertes. Ce fut le cas par exemple avec Lucie de Palma, capitaine du vaisseau Koocook, un site dédié, vous l’imaginez, à la cuisine et aux recettes, mais également maison d’édition, à qui l’on doit Corsaires & casseroles, recettes salées pour moussaillons gourmands, “inventées pour les enfants par le capitaine des corsaires gourmands Estèbe et illustrées par la belle Hélène“. Partant du principe que le “bon goût ne devrait pas attendre le nombre des années”, et dans un style plein d’humour, l’auteur nous conte l’histoire d’Ann et Jack qui découvrent un coffre au trésor, plein de matos pour faire la cuisine, d’un livre (devinez lequel ?) et d’une carte… des saveurs !
De l’île des popotes printanières à la banquise des délices d’hiver, en passant par l’archipel estival des effluves et le galion des goûts d’automne, nos 2 jeunes corsaires partent à l’abordage de recettes de saisons aux noms exotiques : le cabillaud hisse le pavillon noir, les maxi boulettes de morue, le papet du moussaillon ou les crevettes au pesto qui arrachent. Sur le site Koocook, la recette de la caponata c’est cadeau, comme première découverte de l’ouvrage. En plus de l’histoire elle-même et des recettes, vous y trouverez quelques savoureux conseils pour les coqs en herbe, dont je vous livre un avant-goût : “Lis la recette avant de te lancer. Pour ne pas t’apercevoir que la cuisson dure 2 heures et que tu n’auras jamais fini à temps pour nourrir l’équipage” ou encore “goûte toujours ! Il faut que ça soit bon ! […] Parce que dans toute cette histoire, ton palais, ben, c’est le seul maître à bord”.
Nous avons déjà parlé de Malo, jeune héros de La soupe aux épices, à propos des Gourmands voyageurs. Au cours de son voyage autour du monde à la recherche des meilleures épices, Malo et son équipe croisent la route de pirates, qui dérobent leur trésor et l’emportent avec eux sur l’île de la Grenade (archipel des Grenadines, au sud des Antilles, dans les Caraïbes) ; nos courageux aventuriers n’auront pas trop de mal à le récupérer, piégeant les forbans à l’aide de sucreries aux goûts… surprenants (3)! Vous devinez ce que contient leur coffre au trésor ? Des épices bien sûr, et c’est là l’occasion d’y ajouter le fameux piment oiseau.
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Au rayon ados, une aventure d’Isabelle Wlodarczyck et Christine Richard chez Oskar : Dans les cuisines de Barbe-Noire nous entraîne, à la suite du jeune Antoine Levasseur et de son chat Rhumméo qui prend la mer sous les ordres d’un cuisinier bourru, avant de rejoindre, bien malgré lui, l’équipage du terrifiant Barbe-Noire…
Comme précisé sur la 4e de couverture, “à la fin de chaque chapitre, Antoine et Georges te donnent leurs recettes pour amadouer les pirates capricieux” :casse-museaux pour alourdir 4 marins prêts à combattre, œufs de Barbe-Blanche pour apaiser 4 pirates nostalgiques de leur enfance, salade de fruits de Mana, pour 4 chasseurs de fruits des Caraïbes… accompagnées de leurs “anecdotes du coq”.
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Pour terminer, quelques “gâteaux pirates” piochés dans des ouvrages, non sur la cuisine de la flibuste, cette fois, mais de fêtes ou de cake design.
Appartenant aux dernières tendances en matière de cake design, les peek-a-boo ou surprise-inside cakes se prêtent à toutes les fantaisies, et bien sûr se transforment facilement en coffre au trésor débusqué sur une île oubliée, empli de bijoux en bonbons, pièces en chocolat et autres crânes en sucre.
Faites-vous plaisir, tout ce qui se mange et évoque l’imaginaire de la piraterie trouvera sa place dans ce Treasure Trove ! Pour la recette complète, c’est dans Peek-a-Boo Cakes, avec plein d’autres bonnes idées.
Un autre coffre de pirates, imaginé dans le cadre d’une chasse au trésor dans Goûters et fêtes enfantines : même principe, avec cette fois un cake rectangulaire qui sert de coffre et des meringues et bonbons à la fraise en guise de décors et de pierres précieuses.
Dans Le cahier de recettes des petits chefs qui font la fête, le gâteau pirate est une mer de chocolat. Sur ses vagues, des barquettes à la confiture dont le mât (en cure-dent) supporte bien haut la voile noire des pirates, le terrifiant Jolly Roger. Composé d’un crâne et de tibias blancs (ou de sabres), ce pavillon symbolise aujourd’hui le monde de la piraterie, même s’il n’a été utilisé en réalité que par certains pirates, et uniquement pendant une partie du 18e siècle.
Dans ce carnet d’idées festives publié par les éditions du patrimoine (éditions du centre des monuments nationaux), on apprend également à faire un coffre (en carton) empli de bonbons, des invitations sous forme de bouteilles à la mer, des cartes au trésor et un fanion. l’éditeur en offre en ligne un aperçu.
De quoi enchanter bien des moussaillons !
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Pour en savoir plus sur la cuisine des pirates, boucaniers et autres flibustiers, vous pouvez bien sûr venir en salle de lecture, vous installer confortablement et consulter tous ces ouvrages dans le fonds gourmand.
Sans bouger de chez vous, vous pouvez également découvrir la cuisine des corsaires en regardant la conférence donnée par le chef Olivier Roellinger, dont nous avons déjà par 2 fois évoqué le travail sur les épices sur Happy Apicius (4), dans le cadre des Mardis de l’Espace des Sciences.
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Cette conférence, qui dure 1h25, est réalisée à destination des enfants, n’hésitez donc pas à embarquer les plus jeunes dans ce voyage gourmand !
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En bonus, les Jolly Roger gourmands croisés lors de nos aventures de cambuses. À vous de retrouver leurs propriétaires ! Vous donnez votre langue au poulpe ?
Cliquez sur les images pour découvrir le navire de chaque pavillon.
Hissez le pavillon gourmand et à l’abordage ! euh, à table !
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Notes :
(1) Pirates, corsaires et flibustiers ne sont pas strictement synonymes, loin s’en faut : en effet, si les pirates sont des brigands, des hors-la-loi qui abordent les navires de commerce pour s’approprier leur cargaison, bien souvent en ne faisant pas trop de quartiers, les corsaires sont habilités par les pouvoirs officiels à… bah, faire la même chose en fait, mais de manière légale, et au service d’un État (et donc pas contre n’importe qui). Les flibustiers sont, quant à eux, bel et bien des pirates, mais les pirates qui œuvraient dans les Antilles aux 17 siècle et 18e siècles, et pas d’autres. Et les boucaniers alors ? Bah lisez l’article, vous le saurez ! (retour au texte1)
(2) La cambuse est le nom de l’endroit où l’on stocke les vivres sur un navire. (retour au texte2)
(3) Aux fans d’Harry Potter qui se seraient perdus, il ne s’agit pas ici des dragées surprise de Bertie Crochue, même s’il y a sans doute référence ou inspiration ! (retour au texte3)
(4) Caroline vous en a longuement parlé à l’occasion de son escapade maritime et je l’ai également évoqué dans l’article sur les Gourmands voyageurs. (retour au texte4)
Marie
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