Villes comestibles, agroécologie, cultures urbaines… Autant de notions qui s’épanouissent autour des jardins partagés, jardins collectifs et autres jardins familiaux. Derrière la variété des termes, une grande diversité de concepts et d’objectifs pousse dans ces parcelles de terre cultivées au milieu du macadam et des immeubles plutôt qu’à la campagne.
Les jardins collectifs peuvent se définir, d’abord, par opposition aux jardins privés, individuels. Il s’agit en effet, quels que soient les principes qui sous-tendent leur création, d’espaces partagés et le plus souvent ouverts. Les jardins familiaux, auparavant appelés jardins ouvriers, existent depuis le 19e siècle : il ne s’agit donc pas d’une invention si récente ! Il s’agissait alors de fournir aux ouvriers, le plus souvent débarqués de la campagne, un espace à cultiver au sein de leur nouveau cadre de vie urbain. En 1896 l’abbé Jules Lemire crée la Ligue française du coin de terre et du foyer, devenue depuis 1952 Fédération nationale des jardins familiaux et collectifs. C’est également au 19e siècle que le regard porté sur les jardins s’est inversé : après une grande vague de destruction d’ “espaces verts” liée à l’industrialisation et l’urbanisation, le jardin cesse d’être méprisé et est à nouveau recherché, re-créé.
Au-delà de l’aspect pratique lié à un objectif de culture potagère, les jardins collectifs sont des lieux d’échange et de convivialité, et c’est parfois même la raison de leur création : renforcer les liens sociaux et réintégrer des personnes en difficultés. Leur nature et leur fonctionnement dépendent donc de chaque contexte et des personnes qui sont à l’initiative du projet : habitants, associations ou collectivités locales. Reviennent tout de même très souvent les questions de citoyenneté, de gestion démocratique et collective de l’espace et d’écologie, de défense de la bio-diversité.
En Amérique du Nord, dans les années 1970, la crise sociale et économique pousse à la création de jardins de quartier, à la fois dans une perspective d’autosuffisance alimentaire et de re-création de lien social. C’est la “reconquête des friches de New York” *, et la naissance des premiers jardins partagés. Un modèle qui a depuis été beaucoup repris, un peu partout dans le monde.
En France, c’est en 1997 que ce qui est considéré comme le premier jardin communautaire est créé, à Lille : le jardin des Retrouvailles, 910 m2 dans le quartier Moulins, avec notamment un potager biologique et une butte de plantes aromatiques. Une charte et un réseau, Le jardin dans tous ses états, sont mis en place la même année. C’est seulement en 2003 que ces jardins obtiennent une proposition de cadre juridique**, suite aux demandes formulées par diverses associations dès 2000 auprès de la mairie de Paris dans l’objectif d’occuper des friches pour y construire… des jardins ! Le programme “main verte” était né, la mairie mettant à disposition les terrains et finançant les aménagements. La capitale compte aujourd’hui plus d’une centaine de jardins partagés, à découvrir dans les guides Paris : ville comestible et Jardins partagés de Paris.
Autre mouvement, pas tout à fait de jardins collectifs mais incontournable quand on parle de cultures vivrières urbaines : les Incroyables comestibles. Né en 2008 à Todmorden (Angleterre, West Yorkshire), avec un panneau “Food to share” (Nourriture à partager) planté dans un jardin privé, le mouvement Incredible Edible s’est depuis étendu à plusieurs pays. Dans cette ville industrielle durement touchée par la récession, les habitants ont choisi de planter, au cœur même de la ville, partout où cela était possible, des fruits et des légumes à partager entre tous, dans une démarche de gestion et de répartition de la nourriture, bien sûr, mais aussi de re-création de lien social entre les habitants. Les initiateurs du mouvement ont ainsi suivi une recommandation de Tim Lang, professeur de politique alimentaire à la City University, entendue lors d’une conférence au Regents College de Londres :
“Arrêtez de faire pousser des fleurs, cultivez plutôt des légumes.”
La curiosité, notamment médiatique, pour cet endroit où l’on croise des policiers en train de planter des choux – que vous pourrez emporter sans craindre l’amende*** – a bien vite amené le développement d’un certain “tourisme potager” , et les commerces de la ville ont rapidement privilégié le choix de ressources et produits locaux. La question de la préservation de la diversité des semences et plants et de la valorisation des variétés anciennes est également au cœur des Incroyables comestibles. Aujourd’hui, ce sont 80 communes anglaises qui participent au mouvement. Pour en savoir plus sur l’aventure des Incroyables comestibles de Todmorden, racontée par ses initiatrices, vous pouvez lire Les Incroyables comestibles : plantez des légumes, faites éclore une révolution.
Au Québec, c’est d’abord devant l’Assemblée Nationale que l’on peut cueillir les Incroyables comestibles. Le ton est donné ! En France, le mouvement a essaimé en avril 2012, d’abord dans un petit village alsacien, Colroy-sous-la-Roche. Il est aujourd’hui présent également en Bourgogne. Pour plus d’informations ou pour lancer le mouvement dans votre commune, il suffit d’aller voir le site officiel français des Incroyables comestibles.
D’autres ouvrages pour découvrir les jardins collectifs, familiaux, communautaires, partagés… à travers des documentaires :
et des fictions :
Travailler la terre pour le plaisir, faire quelques économies en récoltant ses propres salades, diminuer sa consommation de produits industriels, partager ses connaissances et ses passions potagères avec les moins expérimentés, se réapproprier un espace urbain en mouvement constant… Voilà certaines des motivations (mais pas que) autour desquelles se retrouvent les jardiniers citadins. Besoin alimentaire, besoin existentiel et besoin social, quand 73 % de la population française est urbaine : aujourd’hui, les jardins collectifs, de plus en plus présents dans la fabrique de la ville contemporaine, interrogent l’urbanité dans toutes ses dimensions.
À Dijon, plusieurs systèmes de jardins collectifs existent, avec des initiateurs et des gestions différentes. Des jardins familiaux, devenus l’association Les jardins et vergers de la chouette, le potager collectif autogéré des Lentillères, et bien sûr des jardins partagés. C’est à ceux-ci que nous devons cet article, puisque que Les jardins d’Eugène ont contacté la bibliothèque Port du Canal il y a quelques semaines pour que nous participions à leur dernier événement en date, un marché de troc et vente de graines. Inaugurés officiellement en septembre 2013, les Jardins d’Eugène sont les jardins partagés du quartier Bourroches-Port du Canal, portés par la MJC et son très dynamique animateur Hervé Raynier.
Les jardins d’Eugène sont aujourd’hui composés de 69 parcelles individuelles (dont 2 parcelles adaptées aux personnes handicapées moteur) réservées aux habitants du quartier ne disposant pas déjà d’un jardin privé, après adhésion auprès de la MJC (16 euros à l’année), avec une liste d’attente puisque ces espaces de terre cultivable en pleine ville sont très demandés !
À ces parcelles individuelles s’ajoutent des ressources mises en commun : herbes aromatiques, bac à rhubarbe, bac d’échange et serre hivernale, composteurs, fruitiers, mobilier de jardin…
Dans cette organisation de l’espace comme à la réunion à laquelle j’ai été conviée, ce qui frappe c’est l’implication des acteurs et le fonctionnement participatif de ces jardins. Chacun est là pour mettre la main à la pâte : Alain peut aider pour les tomates, Claudine est l’une des référentes compost, après avoir suivi une formation dédiée, Annie et Laurent se chargent du purin d’ortie, Marie-Flore est l’un des relais pour l’association LPO… et ainsi de suite. Car oui, avoir une parcelle (ou d’ailleurs un jardin), ne fait pas automatiquement le jardinier : les plus expérimentés sont là pour transmettre leurs connaissances potagères aux jardiniers en herbe. De même, le médiateur scientifique du Jardin des Sciences, Thierry Langlais, est un appui scientifique et technique pour les jardins partagés dijonnais.
À Dijon toujours, vous pouvez “adopter un arbre” en pleine rue, c’est-à-dire demander votre “permis de végétaliser” et vous engager à entretenir, au pied d’un arbre ou d’un mur, un espace de plantations (il s’agit ici plus de cultures ornementales que potagères). La ville compte également plusieurs ruches, notamment à la médiathèque Champollion, et fabrique donc son miel urbain, et bien sûr entretient des vignes… Si vous connaissez d’autres espaces de cultures vivrières urbaines, n’hésitez pas à nous en faire part dans les commentaires ! À quand un “Sciences Potager” avenue Victor Hugo comme à Paris et Reims ?
Mais, au fait… jardiner en ville, c’est comme jardiner à la campagne ? Pas tout à fait ! Il y a forcément quelques contraintes spécifiquement urbaines à pallier, ce qui peut donner lieu à des déconvenues… mais débouche aussi sur des expérimentations et des innovations culturales. Suivant les cas, les jardiniers citadins doivent en effet faire face au manque de place, aux problèmes d’ombre dus aux immeubles, à des difficultés d’accès à une ressource en eau, à des formes de terrain particulières, à la pollution…
Quelques références pour apprendre à cultiver un potager surélevé (y compris sur un balcon !) :
S’adapter à chaque terrain, et à la végétation déjà présente, s’avère donc indispensable. Pour économiser l’espace, on peut également avoir recours à des plantes grimpantes (kiwis, haricots…), à des étagères de plantes pour les semis, utiliser les surfaces disponibles sur les toits alentours, faire appel à la culture bio-intensive… La culture hors-sol permet de créer des parcelles de terre adaptée aux cultures vivrières en ville, avec des bacs, des pots de fleurs, ou même dans certains cas des “sacs” (dont l’intérêt est d’être plus facilement transportables) dédiés.
Lieux de partages des savoirs-faire, les jardins collectifs sont aussi des lieux propices à l’échange de recettes et de bons petits plats. Aux Jardins d’Eugène, c’est par exemple Joanne qui fait découvrir sa culture culinaire : l’Angleterre ! Même si l’impact des jardins vivriers sur l’économie de subsistance reste relativement faible, ne tend en tout cas pas à une autonomie alimentaire, il n’est pas désagréable de déguster ce que l’on a semé. Bien sûr, en fonction de ce que vous cultivez, vous pouvez piocher à loisir dans le fonds gourmand pour trouver recettes à votre potager.
Si vous vous retrouvez perdu au milieu de nos 35 000 ouvrages comme une anguille dans une botte de thym, allez voir le livre de Stéphane Marie, Silence, ça pousse ! Du potager à l’assiette pour piocher quelques idées gourmandes et cuisiner votre récolte. Et même si vous n’avez pas de jardin du tout, Mangez la ville quand même, d’une autre façon, avec cet ouvrage qui recense des recettes à base de plantes sauvages urbaines et offre au lecteur de magnifiques photographies de nature et de culture urbaines.
Du potager urbain à l’assiette contemporaine… oui, mais avant ? Qu’est-ce qu’on plante ? Si vous êtes sages et que vous finissez bien vos carottes ce soir, vous aurez droit prochainement à un second article, dédié cette fois à la question des semences, étroitement liée à celle des jardins partagés.
* Citation de Cyrielle Den Hartig, titulaire d’un DESS en aménagement, animation et développement local de Paris VII et membre de l’association Sens de l’humus, in Jardins collectifs urbains, parcours des innovations potagères et sociales
** Les jardins ouvriers / familiaux ont eux un cadre juridique qui a évolué tout au long du 20e siècle, jusqu’à la loi Royer de 1976 permettant la préemption de terrains par les collectivités locales pour la création de jardins ; la proposition du Sénat, transmise en 2003 à l’Assemblée, est cependant restée en attente sans être votée.
*** Les choux hein, pas les policiers…
Marie
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