Quand on feuillette des livres anciens de cuisine, on tombe parfois sur des recettes qu’on imaginait beaucoup plus récentes et pas du tout en usage en France.
Par exemple, le ketchup, ou plutôt le ket-chop !
C’est en parcourant L’art du cuisinier français (édition 1824) d’Antoine Beauvillers que j’ai trouvé cette recette. Vous pouvez consulter l’édition originale de 1814 sur la bibliothèque numérique Gallica, le ket-chop se trouvant page 72.
Antoine Beauvilliers (1754-1817) était officier de bouche du comte de Provence, frère de Louis XVI et futur Louis XVIII, et l’un des premiers grands chefs à ouvrir un restaurant au sens moderne du terme, La Grande Taverne de Londres, à Paris.
Alors, soyons honnête, cette recette de jus de champignons et de brou de noix qui traînent pendant quatre jours avant qu’on y ajoute de l’anchois ne m’a pas enthousiasmée et, malgré mon dévouement, cher.e.s lecteurs et lectrices, je n’ai pas testé pour vous.
En revanche cela m’a donné envie d’en savoir plus sur l’histoire du ketchup.
Pour cela j’ai fait venir de l’Institut européen d’histoire et des cultures de l’alimentation de Tours un livre qui manque à nos collections* : Pure Ketchup : a History of Americas’s national Condiment, with Recipes, de Andrew F. Smith paru en 1996 aux Presses de l’Université de Caroline du Sud.
L’auteur, en recensant des dizaines et des dizaines de recettes de ketchup en Grande Bretagne et aux Etats-Unis a pu en retracer l’origine et le développement. Retenez que ce condiment n’a rien à voir avec la tomate à l’origine, et qu’il n’est pas né en Amérique. Son origine occidentale est plutôt anglaise, avec des aïeux asiatiques (les sauces du type nuoc-mam et sauces soja), en parallèle au déploiement de l’empire britannique en Asie, mais aussi antiques (le fameux garum).
La première apparition connue du mot en Angleterre date de la fin du 17e siècle : le “catchup” décrit comme une sauce de l’Asie du sud-est. La première recette anglaise apparaît en 1727 dans le livre d’E. Smith Compleat Housewife. Pour faire cet “English Katchop”, il faut des anchois, des échalotes, du vinaigre de vin blanc, deux sortes de vins blancs, des épices (macis, gingembre, clous de girofle, poivre, muscade, zestes de citron, raifort) que l’on ajoute à du jus de champignon. On trouve de nombreuses recettes au 18e siècle, à base de champignons, d’anchois ou de noix, et la popularité du condiment ne fait que croître, tant et si bien que les Anglais l’emportent avec eux en Amérique, où le ketchup s’installe progressivement tout en évoluant : c’est en effet outre Atlantique que la tomate est introduite à la recette, vers la fin du 18e siècle, et finira par l’emporter sur les autres variantes. La première recette imprimée de tomato ketchup date de 1812.
L’étape suivante pour le ketchup est le passage du fait maison au produit commercialisé et industrialisé. Andrew F. Smith explique que le homemade ketchup perd du terrain dès le début du 20e siècle et qu’on trouve des bouteilles prêtes à consommer dans toutes les villes des Etats-Unis dans les années 1860, notamment “grâce” à la guerre civile et au goût pour les conserves pris par les soldats. Par ailleurs peu chère, plus pratique et bien sûr moins longue à obtenir, la version industrielle de ce condiment épais, avec beaucoup de sucre, de vinaigre, de sel et à la couleur bien rouge gagne du terrain jusqu’à totalement éclipser le goût originel.
L’auteur consacre un chapitre de son livre à l’étymologie mystérieuse du ketchup, de l’arabe iskebêy devenu escabèche en français et caveach en anglais au javanais kitjap en passant par l’indonésien kecap ou le chinois kê-tsiap. Quant à la théorie donnant Vatel comme l’inventeur du ketchup, elle ne repose sur aucune source !
Vous découvrirez que le ketchup s’utilisait comme un condiment pour accompagner viandes et poissons mais qu’il entrait aussi dans la composition d’autres sauces et d’autres recettes telles que soupes, ragoûts, viande hachée… ou, enfin, qu’on s’en servait pour camoufler d’autres goûts.
Andrew F. Smith relate une expérience américaine infructueuse des années 1970 pour commercialiser un ketchup au goût de fait maison. Les temps ont à nouveau changé ; vous avez certainement eu l’occasion de rencontrer des ketchups de marques plus confidentielles que la célèbre Heinz et même de producteurs et artisans locaux. Je pourrais dire aux Dijonnais où j’achète le mien !
Il ne reste plus qu’à relever les mentions du ketchup dans les livres français anciens de recettes pour compléter le travail d’A. F. Smith. Vous nous aidez ?
* Cela me permet de vous parler du service du prêt entre bibliothèques.
Caroline
Où achètes-tu le tien????????????????????????