A la table des diplomates. L’histoire de France racontée à travers ses grands repas (1520-2015) est un bel ouvrage d’histoire par le prisme de la gastronomie qui ne peut qu’intéresser Happy Apicius, d’autant que le directeur éditorial, Jean-Baptiste Bourrat, nous a commandé quelques reproductions de menus issus du fonds gourmand et que notre suggestion de faire appel à Jean-Pierre Billoux a été retenue ! Ce livre illustre parfaitement l’idée, que nous défendons, que la gastronomie au sens large et ses sources sont une partie de l’histoire et pas seulement l’anecdotique (… même si on aime aussi les anecdotes !). Une bonne idée de cadeau de Noël ?
Des auteurs et des historiens de renom racontent dans ce livre le contexte politique qui a conduit la diplomatie française du moment à concevoir ces repas utiles à la France et aux Français. Autant de chefs exceptionnels détaillent et présentent les mets et les vins qui furent choisis. Ils ont même réinterprété certaines recettes historiques pour que nous puissions les essayer aujourd’hui.
On devine tout au long de ce livre la volonté déterminée de la France de défendre son indépendance nationale, ses valeurs humanistes et sa conception du monde. Chapitre “Dans les secrets des grands repas diplomatiques” par Laurent Stefanini, page 8.
Voici quelques-uns des moments historiques abordés dans le livre et que la collection dijonnaise de menus a ou aurait pu illustrer. Cliquez sur les liens pour accéder à la numérisation intégrale de chaque menu.
La guerre de 1870
Un des menus les plus originaux de notre collection évoque le Siège de la capitale qui fait vivre les Parisiens dans la privation. On connaît le rationnement, la mauvaise qualité du pain, les placards annonçant les prix des matières premières dans lesquels apparaît le rat et le fameux épisode de l’abattage des animaux du Jardin des Plantes dont témoigne ce menu de Dîner parisien. Ce document illustre certainement davantage l’esprit français de résistance qu’un repas bien réel. Je ferais ici volontiers le parallèle avec les nombreux menus de la Grande Guerre qui sont un pied de nez à l’ennemi par leur iconographie caricaturale et leurs jeux de mots. Ne ratez pas l’interprétation très drôle d’Alain Passard d’un menu de Noël 1870 où sont servis tête d’âne farcie, consommé d’éléphant, chameau rôti à l’anglaise, civet de kangourou et autres côtes d’ours rôties !
Dans la suite du menu, ce qui m’étonne, c’est d’avoir sacrifié un chevreuil pour la sauce accompagnant le cuissot de loup… C’est sans doute le plat le plus fort en goût dans ce menu, moins subtil que le chat flanqué de rats, dont la chair est proche du ragondin. Je verrais bien le chat farci de rats, cuisiné en crapaudine, à plat, avec une crème composée avec le foie du rat et celui des rats. Ou alors cuisiné dans l’esprit de mon “corps à corps”, un plat associant un demi-poulet à un demi-canard. Alain Passard, “Le regard du chef : Un festin d’animaux exotiques” dans le chapitre “La guerre de 1870 : Guillaume Ier à Versailles et le siège de Paris (septembre 1870 – mars 1871)” par Laurent Stéfanini, page 144.
Les Expositions universelles
Le chapitre sur les Expositions universelles s’attache surtout à celle de 1889, quand la France met en valeur son industrie avec la tour Eiffel et le palais de l’industrie, et à celle de 1900. Nous vous offrons ici le menu du Banquet des maires de France dont la couverture d’un grand lyrisme met en valeur une grande Marianne devant un paysage parisien, surmontant un monde orné de la devise “Liberté, paix, fraternité”. La banquet des maires lors de l’Exposition de 1889 est ici.
L’excellence affichée dans ces réalisations se retrouve à table lors du banquet d’inauguration offert par la mairie de Paris en l’honneur du président de la République Sadi Carnot le 11 mai 1889. La liste des invités, en dehors des membres des corps diplomatiques, illustre le fait que le pays – ou plutôt ses dirigeants – se considère désormais unifié politiquement ; parmi les six cents invités présents dans la salle des fêtes de l’Hôtel de ville, à côté des ministres et des organisateurs de l’Exposition, sont présents les représentants des grands corps de l’Etat, des grandes entreprises et des banques, des journaux, des grandes écoles (Polytechnique, Centrale, Saint-Cyr), les députés et les sénateurs de la Seine, les maires des grandes villes. Chapitre “Les Expositions universelles. Paris, capitale du monde (1889 et 1900)” par Tristan Hordé, pages 163-164.
Repas avec de Gaulle
La troisième partie du livre “L’art de recevoir à la française” accorde une large place à Charles de Gaulle, de la réception de Winston Churchill en novembre 1944 au dîner offert au Premier Ministre du Québec au Pavillon français de l’Exposition universelle de Montréal, en passant par la visite officielle de Nikita Khrouchtchev en mars 1960, celle des Kennedy en mai 1961 ou du Shah d’Iran en octobre de la même année et le traité de l’Elysée pour la réconciliation franco-allemande en janvier 1963 avec le chancelier Adenauer .
L’accueil à Paris de personnalités étrangères fait partie intégrante de la politique qui consiste à restaurer le rang de la France, et de Gaulle aime accueillir ses hôtes dans les résidences de prestige, comme les châteaux de Rambouillet et de Versailles. Le château de Champs est plus spécifiquement affecté à la résidence des présidents africains qui se rendent très souvent à Paris. Les festivités comprennent généralement un grand dîner à l’Elysée et un spectacle à l’Opéra ou à la Comédie-Française. Mais le Général préfère nettement les déjeuners aux dîners, et demande qu’ils soient rapides, pas plus de quarante minutes (donc sans fromage). […] Beaucoup plus brillantes que les réceptions de l’Elysée, sont celles qui ont lieu à Versailles, où tous les chefs d’Etat souhaitent être invités, en particulier pour le grand dîner dans la Galerie des Glaces, ou à Rambouillet, lieu que de Gaulle apprécie car les hôtes y “sont conduits à ressentir ce que le pays qui les reçoit a de noble dans sa bonhomie et de permanent dans ses vicissitudes”. Chapitre “L’art de recevoir à la française (1918-2015)” par Maurice Vaïsse, page 194.
La Palestine à Paris
Ce repas du 22 octobre 1993 (M III 2343) offert par le Ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand Alain Juppé en l’honneur du Président du Comité exécutif de l’OLP a lieu un mois après les accords d’Oslo entre Israël et la Palestine pour lesquels le Président français avait œuvré.
C’est donc en grande pompe que le chef de l’OLP est reçu au Quai d’Orsay pour un dîner dont sont tacitement omis les aliments exclus par les interdits islamiques. Arafat, musulman pratiquant, s’abstient de goûter chacun des vins de marque proposés. Il embrasse les invités avec une effusion toute orientale, ne se retenant pour une seule poignée de main que lorsque le protocole le prescrit. Au cours du repas, il mâche longuement chacune de ses bouchées, selon une pratique dérivée de la clandestinité, qui est aussi une hygiène de vie. Chapitre “La Palestine à Paris. Arafat, partenaire de la paix” par Jean-Pierre Fillu, page 297.
Un siècle d’Entente cordiale
Entre le 19e siècle et la Première Guerre mondiale, se construit entre la France et le Royaume Uni une alliance qu’on appellera Entente cordiale et qu’une série d’accords signés en avril 1904 finalise.
Cette Entente sera bien sûr l’un des socles alliés de la Première Guerre mondiale, comme la belle allégorie du menu de ce repas d’avril 1914 en l’honneur du souverain britannique George V à l’Elysée, à la veille du conflit, le montre.
La quatrième visite d’Etat en France de la reine Elizabeth II en avril 2004 célèbre le Centenaire de ces accords. La bibliothèque a récemment acquis le menu du dîner offert à la Reine par Jacques Chirac le 5 avril 2004 (M IV 919).
En matière de protocole, les règles anglaises sont nombreuses. Afin de ne pas froisser la reine d’Angleterre, l’étiquette est de rigueur : on ne touche pas la reine – ce qui faillit créer un incident lorsque Georges Pompidou lui prit le bras -, rester discret et s’abstenir de parler sauf pour répondre à la reine. A la première rencontre, il est d’usage de prononcer “Your Majesty”. Pour le duc d’Edimbourg, il faudra d’abord avancer un “Votre altesse royale” avant un “Sir”. Enfin, la révérence n’est pas obligatoire, mais elle se pratique si le geste est maîtrisé. Chapitre “Un siècle d’Entente cordiale. La visite de la reine Elizabeth II (5 avril 2004)” par Franck Philippe, page 309.
Le chapitre évoque aussi le voyage de la Reine en France en avril 1957. La bibliothèque conserve ce menu du dîner donné au Louvre en son honneur le 8 avril (M IV 903).
Caroline
Le menu qui illustre l’annonce de cet article sur la page d’accueil du blog est à retrouver ici.
Une petite merveille, ce livre! Je l’ai eu entre les mains tout le week-end et me suis demandé si je ne pouvais pas en faire autant ! Entendons-nous bien. Pas en matière de diplomatie, mais de gastronomie.
Pourquoi pas?
Par exemple un Montansier, gâteau réalisé par le chef Alain Dutournier.
Il suffit de réussir une dacquoise au chocolat et une crème légère pistachée.
Je vais essayer. Promis. Je vous dirai ce qui en est.
***
Quant à mon époux qui s’est délecté tout autant que moi de ce livre, m’a fait remarquer que si Mitterrand, Chirac et Hollande avaient eu affaire à la table des diplomates, ‘il n’y avait aucune trace de Sarkozy.
Une volonté des auteurs de ne pas l’inviter à table?
Peut-être ne suis-je guère diplomate en abordant ce thème?