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Manger et boire entre 1914 et 1918. CR 4. Manger à l’Africaine par Marc Michel

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Après François Lagrange et Rémy Cazals, c’est Marc Michel qui a apporté son point de vue sur l’alimentation des soldats au front. Marc Michel est professeur émérite à l’Université de Provence. Il a passé une partie de sa vie et de sa carrière en Afrique. Sa thèse portait sur la contribution de l’Afrique Occidentale Française à la Première Guerre mondiale sous la direction de Jean-Baptiste Duroselle. Il a dirigé l’Institut d’histoire comparée des civilisations à Aix, est membre du Conseil scientifique de l’Historial de Péronne et l’auteur de nombreux ouvrages, par exemple L’Afrique dans l’engrenage de la Grande Guerre chez Karthala en 2013.

5. Soldats nord-africains au bivouac en 1917

Spahis algériens au bivouac en 1917. Autochrome de Jean-Baptiste Tournassoud

Son intervention s’intitulait : “Manger à l’Africaine” pendant la Grande Guerre, images et réalités de l’alimentation et usages alimentaires des troupes noires.

 Marc Michel commence par rappeler que les sources sont très inégales sur le sujet : beaucoup d’iconographie, peu de témoignages directs de soldats, des sources d’observateurs éparses, d’où la nécessité de recourir aux sources militaires extérieures. Le nombre et la variété des troupes coloniales, avec des régimes alimentaires très différents, expliquent la complexité du sujet ainsi que l’improvisation et les adaptations auxquelles l’armée a dû recourir malgré les réglementations existant dès avant-guerre.

Lors de son exposé, il se penche sur les cadres institutionnels, puis sur le cadre réglementaire avant de présenter les continuités et les changements.

Le cadre institutionnel d’abord.

Les troupes en question se composent de :

  • l’Armée d’Afrique : les troupes d’Afrique du Nord, de statut indigène ou citoyens, les Zouaves, les Chasseurs d’Afrique, les fantassins des Bataillons d’Infanterie légère d’Afrique, les Spahis, les Tirailleurs algériens et tunisiens, les goums marocains, les artilleurs majoritairement européens ;
  • l’Armée coloniale, encore plus hétérogène : marsouins et bigors, tirailleurs sénégalais, tirailleurs annamites, tirailleurs somalis, malgaches, bataillon du Pacifique, canaques ;
  • auxquels il faut ajouter les originaires des “vieilles colonies” (Antilles, Guyane, Réunion, Inde).
6. Le repas des zouaves-compressé

Le repas des Zouaves. carte postale non datée (Musée des troupes coloniales, Fréjus)

Au total, il s’agit de 125 000 Nord-Africains qui vinrent en Europe, 134 000 hommes d’Afrique noire (qui vont aussi aux Dardanelles et dans les Balkans) ainsi que 240 000 travailleurs coloniaux recrutés par le ministère de la Guerre pour servir dans les dépôts et ateliers. Ce nombre fait de la gestion des troupes un véritable défi.

On crée des camps “d’hivernage” dans le sud de la France.

La loi du 7 juin 1900 sur la création de l’Armée coloniale prévoit l’organisation des troupes noires. Une intendance spécifique est créée en 1906, placée sous l’autorité du commandant supérieur des troupes en AOF à Dakar : elle gère notamment l’alimentation, dont la charge est lourde pendant la guerre. En métropole le relais est pris par l’intendance métropolitaine (notamment pour les camps du Midi), en collaboration avec le commandement dans la zone des Armées mais aussi le Ministère des Colonies et les directions spécifiques à l’Etat-major au Ministère de la Guerre. Tout cela explique la grande incohérence qui régnera souvent. Au final, la gestion pratique relèvera  du commandement sur le terrain.

Marc Michel passe ensuite au cadre réglementaire

dont les principes sont fixés depuis la conquête de l’Algérie au XIXe siècle : respecter les usages et les convictions religieuses des soldats. Cette règle sera sans cesse répétée, comme dans le Manuel à l’usage des officiers et sous-officiers “appelés à commander des indigènes coloniaux dans la métropole” édité en 1937 :

Noir ou jaune, Arabe ou Berbère, l’indigène est attaché à sa religion, à ses mœurs et à ses coutumes… A quelque religion qu’il appartienne – christianisme, bouddhisme, islamisme, etc. – il est indispensable de respecter ses croyances et de lui donner toutes facilités de respecter ses croyances et de lui donner toutes facilités pour l’accomplissement de ses obligations rituelles ou religieuses.

Une circulaire du 30 décembre 1916 de la Direction des troupes coloniales fixe les rations alimentaires imaginées avant la guerre. On distingue comme pour les métropolitains une ration normale et une ration forte en opération mais on différencie aussi l’alimentation selon les origines géographiques, en quatre catégories : Malgaches et Hindous, Sénégalais (AOF et AEF), Indo-Chinois, et enfin Somalis et originaires du Pacifique. Pour les quatre catégories, on supprime vin et alcool ; le lard est enlevé de la ration des Sénégalais (comme s’ils étaient tous musulmans…) ; on augmente les attributions en graisses, riz,sucre, thé ou café ; pour les Maghrébins le blé dur remplace le riz. Ci-dessous le tableau des deux premières catégories.

A. Rations troupes coloniales, 1

Rations des catégories Malgaches-Hindous et Sénégalais (AOF et AEF) – Tableau relevé par les services d’intendance, vers la fin de la guerre (?).                                                                                   (Archives du SHD, Vincennes, 16 N 2642)

De ce que l’on voit dans ces tableaux, les rations sont caloriquement suffisantes et les troupes coloniales bénéficient de rations aussi élevées que les autres troupes.

7.

Tirailleur sénégalais écrasant du café – image parue dans  La Dépêche coloniale illustrée, 1916

Pendant la guerre

Mais il ne s’agit pas que de quantité, il s’agit aussi de qualité et c’est l’objet de la troisième partie que Marc Michel consacre aux continuités et aux changements pendant la guerre. Dans les faits, on constate une faculté d’accommodation aux changements alimentaires différente selon les soldats, une adaptation du commandement aux habitudes spécifiques mais aussi une grande part d’ignorance comme le révèle cette note-cadre de juillet 1916 indiquant que le riz est “la base de l’alimentation des troupes indigènes” et que “la viande est pour elles, un aliment tout à fait exceptionnel” ou encore que les Sénégalais et Soudanais sont “des hommes de haute taille et très gros mangeurs”. Les rapports sur le moral des troupes indiquent que les hommes se déclarent généralement satisfaits de leur alimentation, notamment de la quantité, les plaintes concernant le manque de certains produits comme les légumes verts, le tabac algérien ou les noix de kolas. Quant au goût, il semble évident que les soldats ne retrouvèrent pas le goût de la cuisine à laquelle ils étaient habitués même si des efforts furent faits : distribution de nuoc mam, tabac et thé anamites, piments, dattes, repas sans porc, plats avec mouton et couscous très épicés, aides fournies par le Comité d’assistance aux troupes noires. Comme pour les poilus métropolitains, on ne se soucie pas d’abord de gastronomie.

1. Repas des tirailleurs, sept 1914-compressé

Tirailleurs sénégalais prenant leur repas, septembre 1914. carte postale (Musée des troupes de marine, Fréjus)

Du fait des idées hygiénistes de l’époque, le commandement s’inquiète aussi de faire passer des habitudes de propreté occidentale (manger sans les doigts notamment).

En conclusion, on peut dire que les principes étaient fixés avant guerre, prenant en compte les particularités des troupes coloniales, que commandement et soldats font preuve d’adaptabilité malgré les difficultés. Enfin, la guerre est l’occasion pour les soldats de découvrir de nouvelles habitudes alimentaires qui posent la question d’une acculturation, comme cette vogue du pain à la française en Afrique noire encore importante aujourd’hui, ou ce soldat sénégalais souhaitant “connaître manière de faire tous les fromages, même chose qu’en France” (Lucie Cousturier. Des inconnus chez moi. 1920).

Caroline

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