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Manger et boire entre 1914 et 1918. CR 2. L’alimentation à travers le contrôle postal par François Lagrange

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Les journées d’études “Manger et boire entre 1914 et 1918” nous ont permis de découvrir dix-sept interventions, réparties en plusieurs thématiques. La première était consacrée à l’alimentation des soldats au front, à travers quatre conférences dont, d’abord, celle de François Lagrange, responsable de la Division de la recherche historique, de l’action pédagogique et des médiations du Musée de l’Armée à l’Hôtel des Invalides. Spécialiste de la Grande Guerre, il a consacré sa thèse au contrôle postal et s’intéresse aux questions politico-stratégiques, notamment aux interactions entre moral des combattants et décisions du haut-commandement. Il a dirigé l’Inventaire de la Grande Guerre aux éditions Universalis.

Cette intervention s’intitulait : Les combattants français et leur alimentation : le témoignage du contrôle postal (1915-1918).

Le service du contrôle postal est instauré en 1915 afin de vérifier que les soldats ne donnent pas d’informations pouvant se révéler utiles à l’ennemi mais aussi pour connaître le moral des troupes et de l’arrière. Pour ce faire, un pourcentage de lettres est ouvert et analysé à travers une grille de critères, parmi lesquels la nourriture. En effet, la nourriture est bien plus qu’un élément de logistique, elle relève aussi du symbolique ; elle est, pour les poilus, un révélateur de la façon dont le commandement les traite, dans un sens comme dans un autre. Quand la ration baisse, c’est la vieille peur de la famine, traditionnelle compagne de la guerre, qui resurgit, le moral qui baisse, et l’état-major qu’on accuse. Quand les coopératives sont mises en place ou quand l’ordinaire est amélioré, c’est, a contrario, un signe perçu comme positif et une relation de confiance entre hommes et hiérarchie qui s’instaure. “Je vois que l’on s’occupe un peu de nous et ça fait toujours plaisir” écrit un poilu le 2 janvier 1918. Les soldats prennent ainsi plaisir à décrire les cadeaux des jours de fête.

Aujourd’hui pour nous c’est la fête à l’occasion du 1er Janvier, nous sommes bien soignés comme nourriture ; l’on mange de l’oie, 1 litre de vin à chaque repas, une bouteille de champagne pour 4, jambon, sardine, desserts, cigare, café ; c’est la première fois que j’en touche autant depuis que je suis mobilisé. (2 janvier 1918)

A travers les relevés de ces archives, François Lagrange estime que c’est au milieu de l’année 1917 qu’un tournant est pris par rapport à l’alimentation au front, tant du point du vue des décisions du commandement sur ces questions que du point de vue du retour qu’en font les soldats : avant, on se plaint de l’ordinaire, après, on constate une nette amélioration et une satisfaction croissante.

De quoi se plaignent les soldats ?

  1. De la nourriture froide jusqu’en 1916
    Le plus dur, c’est le manque de nourriture chaude. (3 avril 1916)
  2. De la monotonie du régime alimentaire
    Voilà un mois que je n’ai pas mangé de pommes de terre, toujours du riz et du macaroni, tous les jours même répétition. (14 mars 1917)
    Pour nous ça ne va pas en s’améliorant ; les pommes de terre ont presque disparu de l’ordinaire ; mais les nouilles macaronis rappliquent davantage ; et les haricots ont encore diminué. (17 mars 1917)
  3. De la taille de leur ration, à laquelle les hommes sont très attentifs
    Avec cette bande de salauds ne peux (sic) plus nous nourrir. A déjeuner j’avais juste une cuillerée d’haricots dans le fond de ma gamelle et un bout de saucisson qui n’avait rien d’épatant. Le soir – la soupe – qui sentait les pelures de patates, et un bout de pâté, avec cela ils défendent d’acheter le vin. Donc tu vois pas de vin mal nourri pas de permissions. (2 mai 1916)
  4. Et d’autres points comme le manque de légumes verts et de produits frais, le rejet des pâtes et du riz, ou encore la soif.

Parmi tous les aliments, le pain et le vin occupent une place particulière dans l’esprit des soldats et dans la lecture du haut-commandement.

Concernant le vin, les soldats évoquent les problèmes d’approvisionnement et de cherté. Les contrôleurs signalent quant à eux la trop grande propension de certains à affirmer leur goût pour l’alcool.

On nous a ramenés d’aujourd’hui à 15 km plus en arrière. En arrivant le vin valait 1 F., au bout d’une demi-heure, il valait 1F. 20. Voilà ce que j’appelle une preuve de patriotisme. Je voudrais qu’on mette en prison tous les marchands de vin. Partout on nous exploite. (1er novembre 1916)

Car ici l’on aime le pinard plus que le Bon Dieu. Lorsqu’on parle de pinard, tous les poilus braillent ; ici je me trouve dans mon milieu, car tous les poilus sont des ivrognes. (17 août 1916)

Le moral n’est pas bon, je t’assure heureusement que nous avons du pinard pour chasser le cafard. (12 juillet 1917)

Quant au pain, l’armée enregistre avec attention tous les commentaires le concernant.

Les boules de pain sont bien moins grosses, aussi souvent le soir il faut se mettre une ceinture. Si cela continue, cela va chauffer dur, car pas de pain on ne marchera pas. (17 mars 1917)

Le pain est noir, gris, il fait mal à l’estomac. Il est bien mauvais. (10 juillet 1917) 

François Lagrange relève aussi l’importance des liens entre les soldats et leurs proches à l’arrière : les soldats comparent leurs alimentations respectives, ils tirent aussi des conclusions sur l’avenir selon les évolutions de l’une ou de l’autre. Ils aiment décrire leur quotidien à leurs proches, les difficultés mais aussi les petits plaisirs, ainsi que les nouveautés comme ce “lapin d’Amérique frigorifié” qui a remplacé le bœuf et a été accommodé d’une sauce au vin par les cuisiniers : “on a trouvé ça bon et ça changeait” conclut le soldat (4 mai 1917).

Comme nourriture, nous sommes très bien, nous en avons en quantité et c’est bon, le pain redeviendra blanc, nous commençons à en avoir du très blanc, vous ce sera de même. (3 août 1917)

Ils comparent aussi leur situation à celle des soldats allemands et prennent plaisir à voir qu’ils sont en général plus mal lotis qu’eux.

Les possibilités pour compléter la ration militaire sont aussi commentées par les soldats : la critique des mercantis qui s’enrichissent en profitant de la situation et la satisfaction quand les coopératives sont mises en place.

La nourriture est donc une question stratégique, révélatrice de la façon dont les soldats se perçoivent, perçoivent leur hiérarchie, perçoivent leur place par rapport à l’arrière et à l’ennemi ; elle est une question prise en compte par le commandement, même si l’on peut se demander pourquoi, malgré les nombreux rapports sur la question, les changements ne seront vraiment mis en place qu’à la mi-1917.  

Finissons sur les paroles de ce soldat, décrivant consciencieusement à ses proches le détail de son repas hivernal, de façon touchante :

Réveil le matin à 5 heures et aussitôt nous avons une bonne soupe bien chaude et je vous promets que je la trouve bonne ensuite on déjeune avec trois sardines, ou pâté ou bien du fromage. A 11 heures on nous apporte la soupe les légumes et la viande et ce qu’il y a de bon c’est que c’est encore bien chaud. (8 janvier 1918)

* Les citations sont issues de la conférence de François Lagrange et de sa thèse, en ligne ici : il s’agit d’extraits de lettres de soldats, relevés par le contrôle postal.

Caroline

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