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Les polars culinaires de Steve Rosa

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Steve, comme l’évocation du monde anglo-saxon qui sert de contexte à ses derniers romans et Rosa, comme la douceur des recettes qui égrainent les étapes des énigmes. Serait-ce un pseudonyme ?…

Peu importe après tout !

J’ai découvert Steve Rosa par hasard, parce que ma mère l’avait rencontré lors de salons du livre où ils représentaient tous deux le même éditeur messin, Les Paraiges : “Les paraiges désignent les vieilles familles libres de la cité, groupées d’abord en cinq, puis en six associations ou curies, qui dominèrent Metz depuis le XIIIe siècle jusqu’à sa réunion à la France. Les paraiges, dérivé du latin pares, indiquaient que toutes les familles étaient égales en droits, en honneur et en puissance.”

La nouvelle série entamée par Steve Rosa en 2013 intéresse particulièrement Happy Apicius puisqu’elle appartient au genre du polar culinaire. “J’ai découvert le polar culinaire dans le rayon des librairies anglo-saxonnes – et j’ai immédiatement été conquis par cette forme littéraire alliant énigmes et recettes de cuisine.” dit-il sur son site web. Son héroïne, Delphine Keller, est une prof d’anglais messine qui s’exile à Miami pour ouvrir un restaurant de spécialités lorraines, “Mon amie Del”, quitter son premier métier et s’éloigner de son ex.

Les douze crimes de Noël

Chère rédactrice du Miami Herald spécialisée dans les chroniques judiciaires.

Voilà longtemps que je lis vos articles. Je les trouve bons. Vous avez du style et j’aime votre plume un peu provocante. Rien ne m’agace davantage que le conformisme. C’est pour cette raison que j’ai décidé de vous envoyer cette lettre, à vous plus qu’à tout autre. Vous déciderez seule de ce que vous souhaitez en faire. La suite ne me regarde pas.

Je vais commettre un crime. Ou plutôt non. Pas un, douze. Entendons-nous bien. Je ne suis pas un criminel invétéré, je ne viole pas et je ne suis pas un psychopathe. Je ne suis même pas marginal. Au contraire, je suis une personne parfaitement insérée dans notre ville. Je gagne très bien ma vie, et comme tout le monde, j’ai une famille.

Seulement je m’ennuie. Et pour tromper mon ennui, comme tout un chacun, j’ai résolu de m’amuser.

Sauf que ma façon de concevoir les loisirs est sans doute très personnelle.

Comme vous le savez, nous venons d’entrer dans notre chère période de Noël. Je n’y ai pas échappé, moi aussi j’ai déjà commencé de ressortir, comme chaque année, les mêmes décorations et les mêmes guirlandes. Les mêmes vieux disques usés de chansons populaires refilés de générations en générations.

Comme tous les ans, et comme des millions d’Américains, vous, moi, écouterons ces voix sirupeuses déclamer des chants tout dégoulinants de sucre.

Comme les 12 jours de Noël.

C’est de là que j’ai eu mon idée. Je vais commettre douze crimes. Un par jour. Chacun inspiré par l’un des vers de notre bonne vieille chanson. (page 18)

Steve-Rosa-12-crimes-NoëlDans ce premier volume, Les douze crimes de Noël, les meurtres seront donc rythmés par un chant traditionnel anglo-saxon, the Twelve Days of Christmas. Les allusions culinaires oscillent entre Etats-Unis traditionnels :

“Le matin qui suivit le Jour de l’Action de Grâce, Paula Anderson se réveilla avec une cuite carabinée. Le déjeuner chez ses parents, dans le Comté d’Orange, s’était révélé douloureux. Le repas, pourtant, avait été succulent. En tout point. Dans sa sauce aux canneberges, auréolée d’une purée de patates douces onctueuse et dorée, la dinde farcie aux marrons, aux huîtres et aux pommes, croustillait, comme doucement brunie par un soleil bienfaisant. En dessert, la tarte au potiron fondait littéralement au palais.” (p. 13)

classiques de la Floride comme la salade au homard :

Delphine ignorait si le plat méritait le superlatif attribué par Paula, mais esthétiquement, elle se sentit conquise par la symphonie de vert et de rouge-orangé. Lit de laitue iceberg, farandole alternée de mangues et d’avocats tranchés, saumon fumé roulé en boutons de roses et bouchées de homard parsemées d’estragon et de cerfeuil. Sur le coin de l’assiette, habilement perchés, deux ramequins de porcelaine emplis de mayonnaise au citron d’un blanc laiteux et de sauce Mille-Iles au velouté nacarat. (page 157) [nacarat est un ton rosé, Steve Rosa aime utiliser un vocabulaire précieux et l’imparfait du subjonctif, ce qui n’est plus si courant et donc assez agréable…]

et Lorraine :

Pour d’évidentes raisons d’intendance, Delphine ne proposait qu’une carte volontairement restreinte. […] Pour l’heure, le client se voyait offrir en entrée le choix entre une quiche au lard crémeuse et dorée – il faut toujours précuire les lardons pour rendre la quiche moins grasse et non juteuse, petit conseil paternel – un pâté lorrain – robe de pâte feuilletée, cœur de veau et de porc relevé de thym et d’estragon – et une salade vosgienne – lit de salade sur lequel reposaient pommes de terre sautées, croûtons, œufs et lardons craquants. Pour le plat principal, potée lorraine – n’oublie pas de faire dessaler ta viande en la laissant tremper pendant la nuit, ma fille, ce sera plus digeste, et ajoute à tes haricots un oignon piqué d’un clou de girofle pour donner plus de goût – ou filet de sandre au gris de Toul – une recette dérobée dans les carnets secrets de sa grand-mère, poisson délicieusement rôti et échalotes fondues avec tendresse dans le vin. Tartes en dessert, avec une compotée de mirabelles voire, pour les irréductibles, une boule de sorbet, celui-ci en provenance du supermarché – tant pis, je ne vais quand même pas m’amuser à faire ma glace moi-même. (page 48)

“La première édition des Douze crimes de Noël a été achevée d’imprimer en Union européenne le 18 mars 2013, jour anniversaire de la naissance à Metz en 1841 de Félix Mardochée Alcan, célèbre éditeur français.” C’est ainsi que l’éditeur façonne chacun de ses colophons !

Douceurs assassines

Steve-Rose-Douceurs-assassinesDans le deuxième volume, Douceurs assassines, les friandises jouent un rôle du début à la fin, il est question de critique gastronomique à la plume trop acérée mais aussi du miel et du fiel de l’enfance. Comme dans le précédent, Steve Rosa nous offre une recette à chaque chapitre, du Paris-Metz aux mille-feuilles aux myrtilles. La première est une création de Franck Fresson, pâtissier à Metz et Jarny, mariant un macaron tricolore, une crème mousseline aux bonbons Arlequin et des framboises fraîches. Si vous passez par la Lorraine, la boutique vaut le détour même si pour ma part, je ne peux pas penser aux bonbons Arlequin sans horreur… depuis que je me suis forcée à finir une de mes “créations”, une panna cotta aromatisée à ces bonbons… absolument écœurante !

En s’installant à Miami, Delphine Keller s’était découvert une passion subite pour les biscuits Teddy Grahams aromatisés à la cannelle – subite tout autant que coupable, du reste, pour toute personne ayant grandi sur les terres des sœurs Macarons. Qu’aux douceurs du même nom, moelleuses, suaves, au riche et subtile parfum d’amande, elle pût préférer une ribambelle d’oursons sablés, craquants, qui laissaient au palais ce goût de cannelle presque trop entêtant, avait à ses yeux quelque chose même de honteux, mais c’était ainsi. Les Teddy Grahams étaient devenus ses amis. (page 29)

“La première édition de Douceurs assassines a été achevée d’imprimer par Pulsio le 3 avril 2014, jour anniversaire en 2007 du record de vitesse de 547,8 km/h d’une TGV sur la ligne Paris-Metz.”

Les desserts de l’assassin

Steve-Rose-Desserts-assasinJe n’ai pas encore lu le troisième volet des aventures de Delphine Keller mais voici ce qu’en dit l’éditeur : “En amenant les candidats de la célèbre émission de téléréalité culinaire Chef America à se colleter à la délicate préparation des écrevisses à la mosellane, Delphine Keller, propriétaire du restaurant de spécialités lorraines à Miami Mon Amie Del, ne se doute guère que ses débuts télévisés la conduisent elle-même à buter sur un cadavre au détour du plateau. Rapidement, il s’avère que ce meurtre fait partie d’une série de crimes des plus déroutantes. Pourquoi l’assassin dépose-t-il sur chaque cadavre une recette différente? Quel lien unit ces victimes que tout sépare – et surtout quel lien entre ces recettes? De la Key Lime Pie à la tarte aux mirabelles, de la salade César à la potée lorraine, Delphine, épaulée par son compagnon le capitaine Jeffrey Kerr, découvrira au péril de sa vie que, de Miami à Key West en passant par New York, les secrets du monde de la téléréalité culinaire se révèlent impitoyables.”

Meurtres pâtissiers

Steve-Rosa-Meurtres-pâtisseirsSur son site, Steve Rosa dit : “On m’a d’ailleurs dit que j’insistais – peut-être un peu trop – sur l’aspect “nutritif” du quotidien d’Eve et Nicolas dans les précédents ouvrages. ” Eve Morton est l’héroïne de sa précédente série publiée aux éditions Serpenoise (aux couvertures moins gourmandes…) ; elle est libraire spécialisée dans le policier et est amenée à résoudre des énigmes avec son boyfriend lui-même policier. Dans Meurtres pâtissiers, Steve Rosa commençait à emprunter les chemins du polar culinaire. Entre mystère de la chambre close et délices de la cuisine, puisque un certain baba y jouait un rôle, l’occasion pour moi de vous révéler une recette ancienne.

La recette du baba chaud à la hongroise d’Urbain Dubois, dans La pâtisserie aujourd’hui.

Pâte à baba : 500 gr belle farine bien sèche, tamisée, 35 gr beurre fondu, 8 à 10 œufs d’avance battus en terrine tiède, 3 cuillerées amandes douces et amères broyées avec 40 gr sucre orangé, 1 décilitre crème crue, 3 décilitres lait, 12 à 14 gr levure en pâte.
Faites le levain mollet avec le quart de la farine et la levure délayée avec le lait légèrement chaud ; faites gonfler à l’étuve douce. Faites la détrempe en terrine tiède avec le restant de farine, moitié des œufs, moitié du beurre ; travaillez la pâte avec la main jusqu’à ce qu’elle soit lisse, puis fouettez-la vivement un quart d’heure pour lui faire prendre de l’air, en ajoutant un à un les œufs et les amandes, puis le beurre, 2 minutes après, incorporez délicatement le levain, finissez-la avec la crème crue, faites reposer 20 minutes à couvert avant de la mettre en moule.

Beurrez un moule lisse à cylindre, remplissez-le aux 3 quarts environ avec pâte à baba finie, mêlée avec 2 ou 3 cuillerées amandes hachées et 150 gr petits raisins ; faites lever, cuisez à four modéré ; en le sortant coupez le gâteau droit, imbibez-le au kirsch légèrement siropé. Servez avec un sabayon au vin de Tokay.

Antonin Carême, dans Le pâtissier royal parisien, prépare son baba polonais avec des raisins de Corinthe, des raisins muscat, du cédrat confit, du safran, du vin de Madère.

Le baba était dit polonais car on considérait que l’inventeur était Stanislas Leszczynski (1677-1766), roi de Pologne et duc de Lorraine.

Essayez les romans de Steve Rosa, vous y prendrez un double plaisir grâce au suspense efficace et aux allusions gourmandes qui jalonnent les intrigues !

Plus d’info ici et ici.

Caroline