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Le goût de Charlie

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Qu’ont en commun Cabu, Wolinski, Tignous et Topor ? Certes, ils ont tous été membres de la joyeuse équipe de Charlie Hebdo. Ils ont également en commun d’avoir écrit ou illustré des ouvrages irrévérencieusement gourmands !

2 ans après l’attentat meurtrier contre la rédaction du journal satirique, et à l’annonce de la création d’un espace dédié à la mémoire de Cabu à Châlons-en-Champagne, j’ai eu envie de vous présenter ces petites pépites d’humour – et vous mettre l’eau à la bouche. Parce que oui, en plus de vous faire rire, ces livres peuvent aussi vous donner des idées de recettes – culinaires, et pas que – une bien agréable manière de rappeler l’importance de la liberté d’expression sous toutes ses formes, et de rendre hommage à ses défenseurs.

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Wolinski (s’)illustre surtout côté cuisine amoureuse et aphrodisiaque, avec Anita Roustan pour La cuisine de l’amour et ses recettes toutes “éprouvées dans les moindres détails pour vous permettre de les réussir sans difficultés” (réédité en 1986). De la pincée de piment des rencontres à l’amertume des séparations, des plats et des conseils pour toutes les occasions.

Il récidive avec Nathalie Le Foll pour La cuisine des mecs, recueil de recettes chipées par l’auteure dans son entourage masculin, un entourage qui s’est prêté au jeu avec plaisir.

“Je me suis aperçue que les hommes, de plus en plus nombreux, font la cuisine et qu’ils y trouvent un réel plaisir […] Peut-être, ayant enfin compris que les femmes travaillaient autant qu’eux, les hommes se sont-ils enfin décidés à partager les tâches ; et la cuisine, c’est tout de même plus gratifiant que le ménage ! […] tous différents, par leur âge – le plus jeune a quatorze ans -, leur profession, leur style de vie […]

leurs recettes sont leur fierté.”

Cabu se fait le complice d’Elisabeth Courtial et Jean-Luc Mano pour un manuel de Cuisine électorale, pour en savoir plus sur les goûts des politiques, quelles que soient leurs couleurs.

“Les hommes politiques que nous avons interrogés se sont-ils inspirés de ces enquêtes d’opinion pour nous livrer leurs recettes ? Pas vraiment. Dans l’ensemble, ils l’ont fait avec bonne humeur et sincérité. Car il nous faut aujourd’hui le confesser, les informations se glanent davantage lors d’un déjeuner qu’au cours d’une conférence de presse. […] Finalement, la “bouffe”, la petite ou la grande bouffe, ne se démode pas. Voilà même les banquets républicains remis au goût du jour.”

On aurait bien proposé aux auteurs de venir commenter nos menus présidentiels pour Happy Hapicius.

precis_anthropophageEncore plus décalé, et à prendre encore moins au pied de la lettre*, le Petit précis de cuisine anthropophage de Guy Prévan, “Grimod de la Reynière du cannibalisme”, est lui aussi illustré par Cabu avec un humour qui n’épargne pas grand-chose – pas même le Petit Prince, c’est vous dire.

L’histoire ne dit pas si Hannibal Lecter a testé ces recettes après celles d’Escoffier. Quoi qu’il en soit, le texte qui sert de “pousse-café” n’est pas sans rappeler ces scènes de table dans le film ou la série adaptés des romans de Thomas Harris ; car en effet, c’est bien beau de savoir accommoder la chair (chère ?) humaine, encore faut-il savoir la présenter à ses invités.

Cannibalisme toujours, une fois ces recettes épuisées, essayez celles de La cuisine cannibale de Topor, un “Charlie” de la première heure, du “myope au gratin” – dont il faut enlever les lunettes et que l’on prépare comme le cabillaud – au barbu à poil. On notera que ces 2 derniers ouvrages font référence à la Modeste proposition pour empêcher les enfants des pauvres en Irlande d’être à la charge de leurs parents…

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“Un plat se choisit en fonction d’un état d’être. Puisse le vôtre être tel que la seule lecture de cet “écriteau” vous fasse venir l’eau à la bouche et “entrer en cuisine”.

Voilà la conclusion de l’autre ouvrage de Topor présent dans le fonds gourmand : Elle Lui cuisine. Où on apprend à digérer de bonnes lectures, à empêcher la moelle de s’échapper de l’os, et comment faire dégorger un concombre.

porcs_du_mondeUne promotion à ne pas louper : 13 [recettes] à la douzaine, et en particulier dans cette collection Les porcs du monde de Jo Bertil, illustré par Willem. Attention, il s’agit ici de 13 plaisirs cochons : si jamais les textes ne suffisaient pas à nous en convaincre, les illustrations sont là pour nous rappeler de ne pas prendre tout ça trop au sérieux. Prenons par exemple la recette du boudin : “Pour 6 personnes : du sang, du sang, du sang, du sang, du sang, du sang, et du tripoux” – on le savait, me direz-vous.

dictionnaire-impertinent-de-la-gastronomie vin_triste_tignousTignous, pour sa part, s’est chargé des pertinentes illustrations du Dictionnaire impertinent de la gastronomie de Périco Légasse, dédié à “Bernard de Saulieu, avec qui j’ai souvent failli mourir de rire“.

Comme le signale l’auteur, il en manque encore un peu :

“Malgré une relecture assidue, j’ai certainement omis de citer certaines absurdités, pédanteries, incohérences, lâchetés ou hypocrisies méritant d’être décryptées, comme de titiller quelques institutions pompeuses, hâbleurs chagrins ou têtes à claques qui rendent la gastronomie ennuyeuse. Que ceux-là se rassurent, je n’ai nullement cherché à les épargner, je les ai simplement oubliés.”

Enfin, Cabu, Wolinski, Tignous, Riss et Charb ont également illustré, avec d’autres, les chroniques culinaires de Desproges pour Cuisine et vins de France, réunies dans le recueil Encore des nouilles. Mais ceci sera certainement l’objet d’un autre article – et celui-ci est déjà bien assez long.

Humour, politiquement incorrect, amour du bon vin et de la bonne chère : la petite bande offre dans ses dessins comme ses écrits des ressemblances troublantes, des thématiques et un ton qui frappent par leur force et leurs convergences. Le goût de Charlie, ou comment préserver la saveur de la vie en toutes circonstances.

Marie

*du moins, on l’espère