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Dis-moi comment tu produis… en littérature

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Les littératures gourmandes sont de nouveau mises à l’honneur à Dijon ! C’est bientôt l’heure du goûter du 6e service de Clameur(s), cette année consacré à la thématique du goût sous toutes ses formes (littéraires).

Avec, comme toujours, une mise en bouche très riche : de nombreuses actions sont proposées en amont, à suivre sur le blog dédié, mais aussi sur facebook, twitter et instagram.

Moi, jardinier citadin, par Min-ho Choi, éd. Akata, 2014

Samedi 23 mars a eu lieu à la Nef la première de 3 pauses lectures gourmandes, proposées comme une découverte des personnages, des figures nourricières au figures des mangeurs, en littérature : celles et ceux qui produisent, qui cuisinent, qui mangent. Pour les gourmands qui n’ont pas pu être là, voici les documents présentés autour de la figure de celles et ceux qui produisent ce que l’on mange.

“On redécouvre que la nourriture provient de la terre. À partir de là, tout devient différent”

Vous vous souvenez de la mère de Raiponce qui, enceinte, ne pouvait se passer de la salade de la voisine ? L’histoire vraie à l’origine de ce manga en 2 tomes commence de la même manière, si ce n’est que Min-ho Choi, auteur de cet ouvrage, a préféré créer un potager urbain pour nourrir sa femme enceinte plutôt que d’aller piquer dans le jardin de la sorcière (on suppose que l’histoire eût alors été bien différente). Cette histoire là se passe à Uijeongbu, ville située au Nord de Séoul, dans une région de montagnes.

“On commence à semer des graines pour attendre le cœur battant les nouvelles pousses.”

On retrouve dans ce récit, parfaitement mis en images par les magnifiques aquarelles, la question de la transmission des gestes et des savoirs entre personnes et entre générations, au cœur des potagers urbains, que nous avions déjà observée dans les jardins partagés du quartier des Bourroches. En effet, on est ici au cœur des problématiques et des réflexions posées par l’agriculture urbaine : rythmes de la nature, slow life, qualité ce que nous mangeons… Au-delà, ce récit graphique est aussi une belle découverte des habitudes culinaires et des produits coréens, assez mal connus en Occident.

“Je considère mon potager non pas comme un lieu de production destiné à me faire simplement gagner de l’argent, mais comme un terrain d’apprentissage qui me fait progresser, ne serait-ce qu’un tout petit peu, et m’aide à combler mes lacunes, mon manque d’expérience, et à devenir un être humain accompli.”

Asafumi Yamashita est L’homme qui écoute les légumes, un ouvrage publié chez Actes Sud en 2016. Les nombreuses photographies d’Alexandre Petzold rendent un vivant hommage à ce maraîcher d’origine japonaise, installé dans un village des Yvelines, dont les produits sont cuisinés par Anne-Sophie Pic, Éric Briffard, Pierre Gagnaire… et bien d’autres.

La tomate

“Au début, elles sont d’une couleur jade presque transparente, puis se parent d’ambre et, lorsqu’elles brillent comme un rubis, il est temps de les récolter”

Si l’ouvrage ce présente comme un documentaire, à travers ses photographies déroulant le travail de l’artisan au fil de 3 années, accompagnées de textes, l’art est présent partout : dans l’œil du photographe, dans la plume du maraîcher, ses descriptions se déroulant comme des poèmes.

Philippe-Victoire Lévêque de Vilmorin est un aventurier des plantes. Au 18e siècle, il quitte sa Lorraine natale pour rencontrer Buffon et les savants naturalistes, apprend avec eux à connaître les plantes, et se lance dans le commerce des graines. Une marque reprise par ses héritiers et qui existe toujours aujourd’hui. Cette Saga des Vilmorin, racontée comme un roman par Claude-Marie Vadrot, jusqu’à Jean-Baptiste Vilmorin et son arboretum patiemment planté. Une histoire familiale, mais aussi une histoire des plantes et des graines, de leur sélection, de leur découverte, et donc une histoire de la botanique et de la science en train de se faire.

“Louis travailla également sur le colza et bien évidemment sur les pommes de terre qui faisaient l’objet de recherches permanentes chez les Vilmorin depuis le début du siècle, depuis que Parmentier avait passé le relais à son grand-père. Pour parvenir à ses fins, pour pour considérer qu’il avait réussi à fixer de nouveaux caractères à une plante, il estimait qu’il devait la semer, l’observer et la sélectionner pendant sept à dix ans.”

La bibliothèque conserve également quelques catalogues et écrits anciens liés à la saga Vilmorin, ainsi que le recueil de planches The Vegetable Garden, édité par Taschen et le Museum d’histoire naturelle d’après leur exemplaire (1850-1895).

Frères de terroir : carnets de croqueurs est une bande dessinée qui, selon son préfacier Sébastien Lapaque, “donne faim et soif”. Ce n’est pas nous qui allons le contredire ! 2 volumes pour 4 saisons, qui raconte les pérégrinations gourmandes de 2 artistes gourmets biens connus : l’auteur Jacques Ferrandez et le chef Yves Cameborde, à la rencontre des producteurs et productrices favori-te-s de ce dernier et de quelques-unes de leurs recettes.

Frères de terroir : carnets de croqueurs, par Jacques Ferrandez et Yves Camdeborde

Une application disponible sur le site internet dédié permet d’ajouter une pincée de réalité augmentée à sa lecture, et un tumblr permet de continuer à suivre cette belle aventure.

Autre série dessinée, Les seigneurs de la terre, par Fabien Rodhain et Luca Malisan. On retrouve ici la question de l’apprentissage et du savoir-faire, mais cette fois dans le genre du polar social, avec Florian, un jeune avocat héritier d’un puissant agriculteur, qui, choqué par les conséquences internationales de l’industrialisation, décide de tout plaquer pour devenir paysan et se rapprocher de la terre.

Roland Feuillas, comme Florian, a lui aussi quitté sa carrière pour devenir un paysan, un producteur de pain, cette fois, au moulin seigneurial de Cucugnan (Hautes Corbières). De formation scientifique, il met ses connaissances au service de blés anciens travaillés à la meule de pierre et utilise des levains naturels. C’est l’aventure qu’il nous raconte dans À la recherche du pain vivant, avec Jean-Philipe de Tonnac, écrivain et éditeur titulaire d’un CAP de boulanger devenu spécialiste du pain et de ses métiers.

“Le pain est peut-être la chose la plus simple parmi les choses les plus simples. […] Je dirais que l’odeur du pain qui sort du four de mon enfance, et aujourd’hui du four de Cucugnan, a la puissance d’insuffler au cœur de l’homme ce goût de liberté, ce goût du respect de soi et des autres. […] L’épisode de la madeleine rapporté par Proust dans Du côté de chez Swann m’est toujours apparu assez basique, en fait. La madeleine en bouche nous rappelle beaucoup plus que la madeleine que nous mangions enfants. L’odeur du pain chaud ne me ramène pas sur le mont Lozère et je ne le lui demande pas. La preuve est que l’odeur du pain chaud bouleverse tout un chacun, qu’il ait ou non vécu l’expérience d’avoir cuit du pain dans un four au fond du jardin.”

Extraits à feuilleter sur le site de l’éditeur, Actes Sud.

“Du côté des paysans, cela fait longtemps que le cultivateur ne voit plus le pain lorsqu’il travaille ses champs ou moissonne ses blés. Cela fait longtemps qu’il ne nourrit plus personne, ni lui ni les autres”.

On évoque souvent l’oubli de la terre pour celles et ceux qui mangent, mais se pose-t-on la question de l’oubli de la nourriture, pour celui qui produit ? C’est pourtant l’une des réflexions de Xavier Noulhianne dans son Ménage des champs, chronique d’un éleveur du XXIe siècle – un titre qui fait référence au Théâtre d’agriculture et mesnage des champs d’Olivier de Serres, considéré comme le premier traité général d’agronomie moderne.

“Ainsi, son texte mérite d’être lu, non seulement comme la chronique d’une installation agricole, mais aussi comme le portrait d’une société à un moment spécifique de son histoire.”

Portrait de société, une épithète qui s’applique également à un classique du genre, Le Ventre de Paris, d’Émile Zola. Publié pour la première fois en 1873, ce troisième opus de la saga des Rougon-Macquart est une personnification des Halles de Paris au cœur du 19e siècle en pleine industrialisation, ventre monstrueux et aliénant où l’on croise Lantier, inspecteur malgré lui, qui ne se laisse pas engraisser par son boucher de beau-frère, s’efforce de survivre au milieu des commérages, des espoirs déçus et des coups bas de ceux qui remplissent le ventre de Paris. Au milieu des entassements de victuailles, c’est la lutte entre les gras et les maigres, les riches et les pauvres, toujours nouvelle et jamais finie bataille de Carême et Charnage.

“Mais Claude était monté debout sur le banc, d’enthousiasme. Il força son compagnon à admirer le jour se levant sur les légumes. C’était une mer. Elle s’étendait de la pointe Saint-Eustache à la rue des Halles, entre les deux groupes de pavillons. Et, aux deux bouts, dans les deux carrefours, le flot grandissait encore, les légumes submergeaient les pavés. Le jour se levait lentement, d’un gris très doux, lavant toutes choses d’une teinte claire d’aquarelle. Ces tas moutonnants comme des flots pressés, ce fleuve de verdure qui semblait couler dans l’encaissement de la chaussée, pareil à la débâcle des pluies d’automne, prenaient des ombres délicates et perlées, des violets attendris, des roses teintés de lait, des verts noyés dans des jaunes, toutes les pâleurs qui font du ciel une soie changeante au lever du soleil ; et, à mesure que l’incendie du matin montait en jets de flammes au fond de la rue Rambuteau, les légumes s’éveillaient davantage, sortaient du grand bleuissement traînant à terre.

Les salades, les laitues, les scaroles, les chicorées, ouvertes et grasses encore de terreau, montraient leurs cœurs éclatants ; les paquets d’épinards, les paquets d’oseille, les bouquets d’artichauts, les entassements de haricots et de pois, les empilements de romaines, liées d’un brin de paille, chantaient toute la gamme du vert, de la laque verte des cosses au gros vert des feuilles ; gamme soutenue qui allait en se mourant, jusqu’aux panachures des pieds de céleris et des bottes de poireaux. Mais les notes aiguës, ce qui chantait plus haut, c’étaient toujours les taches vives des carottes, les taches pures des navets, semées en quantité prodigieuse le long du marché, l’éclairant du bariolage de leurs deux couleurs. Au carrefour de la rue des Halles, les choux faisaient des montagnes ; les énormes choux blancs, serrés et durs comme des boulets de métal pâle ; les choux frisés, dont les grandes feuilles ressemblaient à des vasques de bronze ; les choux rouges, que l’aube changeait en des floraisons superbes, lie-de-vin, avec des meurtrissures de carmin et de pourpre sombre. À l’autre bout, au carrefour de la pointe Saint-Eustache, l’ouverture de la rue Rambuteau était barrée par une barricade de potirons orangés, sur deux rangs, s’étalant, élargissant leurs ventres. Et le vernis mordoré d’un panier d’oignons, le rouge saignant d’un tas de tomates, l’effacement jaunâtre d’un lot de concombres, le violet sombre d’une grappe d’aubergines, çà et là, s’allumaient ; pendant que de gros radis noirs, rangés en nappes de deuil, laissaient encore quelques trous de ténèbres au milieu des joies vibrantes du réveil. Claude battait des mains, à ce spectacle. Il trouvait « ces gredins de légumes » extravagants, fous, sublimes.”

À lire aussi sur Gallica !

Autre roman qui malmène les sens, et pas seulement celui du goût, met en mots les dessous de la production des mets : Les liens du sang, d’Errol Henrot. Né et grandi au milieu des animaux, il aurait u intituler son roman Le silence des agneaux si le titre n’était pas pris, tant l’on pense à Clarice Sterling rêvant de petites bêtes abattues à cette lecture. Le bac en poche, 6 mois de stage avec son père… François vient de le comprendre, sa vie est tout tracée, la même que celle de son père : tueur aux abattoirs. Cette vie, on la découvre au fil de 3 parties, particulièrement bien écrites mais éprouvantes (ou l’inverse ?) : le sang, la chair, la terre.

À noter : les fictions du fonds gourmand présentées lors de ces pauses lectures seront disponibles à la consultation dans la salle de lecture de la bibliothèque patrimoniale jusqu’au week-end de Clameur(s), les 16 et 17 juin 2018. Les documents de cette pause lecture et d’autres en complément seront également consultables lors du marché de troc de graines et plants bio qui aura lieu à la MJC des Bourroches le 12 mai 2018.

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