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Cocotiers sur la banquise : la littérature américaine

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Amateurs de littérature gourmande, vous vous souvenez sans doute que tout au long de l’année 2015, la bibliothèque a proposé des pauses lecture, rencontres entre bibliothécaires et lecteurs autour de thématiques variées et avec comme fil rouge la gourmandise, composant ainsi un menu littéraire original.

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Le dessert a été servi le 17 octobre, sur le thème de la littérature américaine. Ce plat a été poétiquement intitulé Cocotiers sur la banquise, évoquant la diversité des paysages des États-Unis entre HawaÏ et l’Alaska. Notre complice Valérie, animatrice de cette rencontre, nous l’a racontée en ces mots :

“15 Explorateurs du nouveau continent étaient présents samedi 17 octobre à la Nef pour échanger sur la littérature américaine. Vaste continent, vaste littérature ! Évoquant les grandes plaines de Jim Harrison, Dan O’Brian ou Philip Meyer, les classiques et intemporels John Steinbeck et William Faulkner, les écrivaines de talents comme Annie Proulx, Joyce Carol Oates, Toni Morrison, Laura Kasischke, Sue Hubbell, et bien d’autres qui ont surgi dans cette conversation animée et passionnée.”

Grandes plaines ou classiques, cocotiers ou banquise, partout un point commun : on mange ! Le fonds gourmand conserve de nombreux ouvrages, romans, livres de recettes ou documentaires, traitant de cette question. Les participants, et aujourd’hui nos fidèles lecteurs, ont pu en découvrir une sélection digne de leurs appétits littéraires… et pas que !

FoodsoftheAmericasLes traditions culinaires américaines, ce sont d’abord celles des premiers occupants du continent, les Native Americans, dans toute la diversité de leurs origines et ethnies. Foods of the Americas : native recipes and traditions est un magnifique ouvrage, à la fois documentaire curieux et livre de recettes inspiré, publié par Fernando et Marlene Divina en collaboration avec le Smithsonian National Museum of the American Indian.

L’un des objectifs de l’ouvrage est de permettre une meilleure connaissance de ces cultures à travers leurs traditions culinaires, et il est pleinement atteint, notamment par l’aspect cérémoniel de la préparation des aliments que l’on y rencontre, leurs éléments centraux ou sacrés, leur dimension spirituelle, le façonnement et l’évolution des liens à la nourriture.

Mitsitam cafeLes textes sont écrits par des auteur-e-s appartenant aux communautés native americans : A’aninin, Navajo, Comanche, Hopi, Monacan, Chumash et Potawatomi, car c’est leur point de vue qui est mis en avant ici, tout comme au National Museum of the American Indian. Ils racontent l’importance de la nourriture et de la cuisine dans la construction de la communauté, dévoilent la diversité et la capacité d’adaptation inhérentes à leurs cultures.

Les ingrédients utilisés sont dans la grande majorité cultivés à portée de main, les animaux chassés sont utilisés intégralement, les aliments saisonniers sont conservés, les recettes sont fonction aussi des possibilités de cueillette, et donc des régions, combinaisons d’aliments sauvages et cultivés. Pommes de terre, tomates, chocolat, et autres aliments aujourd’hui si répandus sont replacés dans leur contexte historique : des ingrédients du Nouveau Monde. Ustensiles et techniques, bien plus partagés que les recettes elles-mêmes, sont également expliqués, dans toutes leurs variations autour du cru, de l’eau et du feu.

Les recettes, préparées par le chef de métier qu’est Fernando Divina, permettent de re-donner vie à ces ingrédients, ces traditions, dans toute leur sophistication, et ce où que l’on se trouve dans le monde – du moins, tant que l’on a accès à l’ouvrage, ainsi qu’éventuellement au blue corn des Hopi, à de l’arrow head root, à des tomatillos… Pour les plus chanceux, un menu est proposé au Mitsitam Cafe (Washington, D.C.), inspiré du travail des Divina. Les auteur-e-s précisent qu’il s’agit de recettes héritées de la tradition mais aussi contemporaines, qu’elles ont à ce titre évolué avec le temps, les techniques et les échanges, et invitent leurs lecteurs à continuer à mêler les cultures et les goûts dans leur propre cuisine.

“Je découvris peu à peu que certaines choses me manquaient. Une sensation, un paysage, une odeur, un goût particulier. Quelqu’un. Quelque chose qui revenait à la surface à l’occasion d’une rencontre, d’un film, d’un journal, d’une chanson. Je découvrais la nostalgie de mes nourritures d’enfance.”

La cuisine des originesÉtats-Unis : la cuisine des origines est publié dans la remarquable collection “Cuisines migrantes” des éditions de l’Aube. Comme tous les titres de la collection, cet ouvrage propose à la fois des recettes et une histoire, une histoire de migration, de diversité, de mélange des cultures, et aussi, bien souvent, de nostalgie. En effet l’auteure, Shirley Johnson, Noire Américaine originaire du Sud des États-Unis qu’elle a quitté pour s’installer à l’étranger, a souhaité partagé ici la nourriture de son enfance, connue aujourd’hui sous le nom de soul food, mais aussi la culture culinaire de son pays d’origine, dans toute la richesse de ses variations.

La soul food, c’est d’abord la cuisine des esclaves, préparée avec les restes que les maîtres n’utilisaient pas, “qu’on jette habituellement dans les cuisines occidentales : haricots, intestins et pieds de porc, feuilles de navets mijotées dans le lard”*. Influencée par la tradition culinaire française de la Nouvelle-Orléans, la soul food atteint New York et les grandes villes du Nord-Est américain dans les 1940’s-1950’s, où elle s’enrichit des apports de la cuisine antillaise. Vous l’aurez compris, ce recueil de recettes donne accès à une cuisine qui ne se mange que peu au restaurant, même sur le continent américain. L’auteure s’est également attachée à révéler dans son texte les traces indiennes dans la composition de la cuisine américaine.

“Ma mère accommodait avec talent les aliments les moins chers. Surtout le porc. Sur le poêle de la cuisine, une grande casserole fumait en permanence, emplissant la pièce d’un arôme merveilleux. C’étaient tantôt des neck bones, des pieds de porc ou des haricots secs et des collards greens au lard.”

Au menu ? Calas (petits pains chauds de la Nouvelle-Orléans), gaufres à la manière du Sud, levain pour pain à pâte sûre, pain à jeter aux chiens (Hush Puppies), potage de haricots rouges aux boulettes, salade du Bayou, dîner d’opossum aux patates douces…

Jim HarrisonComment parler de littérature et de gourmandise américaines sans évoquer l’auteur Jim Harrison, écrivain gourmet bien connu, qui s’est éteint (mais après avoir si bien su vivre !) il y a peu ?

Ses Aventures d’un gourmand vagabond sont bercées, secouées de ventrées épiques et de réflexions fines, oscillent, basculent des bruts mais tranquilles paysages forestiers du Montana aux jungles urbaines dans toute leur violence sophistiquée. Jim Harrison écrit avec autant d’appétit qu’il mange, et c’est un plaisir merveilleux que de le lire. A ne pas tenter tout de même trop près d’un frigo vide. Traversant mers et continents pour le travail ou pour le plaisir, à la recherche perpétuelle de bonnes tables à re-découvrir ou de produits sauvages à accommoder, l’auteur nous conte avec la truculence d’un Rabelais ses aventures gourmandes, des restaurants de New York, Boston ou Vézelay aux meilleures cuisines privées – la sienne et celles de ses proches.

“J’ai ouvert le réfrigérateur tandis que dans mon cœur toutes ces chansons me faisaient oublier qu’il ne contenait rien d’autre qu’une épouvantable perruque naturelle, un frigo qui aurait fait les délices d’un fana des fruits ou d’un de ces obsédés du zéro pour cent de matières grasses qui nous gâchent trop souvent l’existence. J’ai néanmoins avisé une unique possibilité : un très étonnant morceau de porc maigre salé, d’environ quatre-vingts grammes, appuyé contre une assiette de pain de maïs. J’avais taillé de petites lamelles dans ce porc pour relever mon anasazi et mes haricots d’Espagne, mais maintenant mon enfance hurlait vengeance et mon esprit a soudain évoqué l’image du tonneau de chêne rempli de porc salé dans la cave de mon grand-père.

Je me rappelle la densité exacte de la sauce au porc salé sur cette purée à base de farine de maïs, qu’on appelle aujourd’hui polenta. Cette sauce est particulièrement délectable avec le babeurre que j’avais gâché en le mélangeant à mes céréales. Oserai-je ?  Mais oui. J’ai donc fait revenir et brunir de petits morceaux de porc, j’ai préparé un roux, puis j’ai ajouté le restant du babeurre avec une généreuse dose de tabasco, déposant une pleine tasse de ma mixture sur du pain de maïs bien chaud et faisant descendre le tout avec du V.O. (84).”

Comme vous le savez je ne suis pas du tout du genre bourguignonne chauvine (hum…), cependant je n’ai pu m’empêcher de remarquer que Jim Harrison était très attaché à la Bourgogne, où il séjournait régulièrement auprès de son ami Gérard Oberlé, et qu’il en dit le plus grand bien. Que ce soit dans la cuisine de la maisonnée ou auprès du chef Marc Meneau à Vézelay, Jim Harrison a su profiter des plaisirs de la région, comme en témoignent les échanges épistolaires entre les deux compères publiés à la fin de l’ouvrage… mais ce n’est pas le sujet !

Bien sûr, ceci n’est qu’un petit échantillon des livres traitant de cuisine américaine à la bibliothèque. On pourrait également y ajouter les recettes et traditions de l’Amérique du Sud et du Canada.

Vincent Price

L’acteur Vincent Price jouant sur les codes de l’univers horrifique qui l’a rendu célèbre pour illustrer son livre de cuisine

Certains mériteront un article à part entière, en particulier les livres de recettes de Mary et Vincent Price, acteur américain cher au cœur des amateurs d’horreur à l’ancienne (dont je fais partie, vous l’aurez compris si vous nous lisez régulièrement…), qui avec sa femme a parcouru les restaurants des États-Unis et du monde, constituant ainsi une collection d’ouvrages de référence sur la question (acquis récemment), ainsi que la série de l’auteure Poppy Z. Brite, plus connue pour ses romans fantastiques, mais qui depuis quelques années se consacre à deux cuisiniers évoluant dans la Nouvelle-Orléans la plus sombre – mais qu’est-ce que c’est drôle. Et bien écrit (traduit). On ne sera pas surpris, à la lecture de cette série initiée avec Petite cuisine du diable, d’apprendre que Poppy Z. Brite vit à la Nouvelle Orléans et que son compagnon y est cuisinier… Les plus observateurs auront peut-être déjà remarqué que deux couvertures de ces romans ornent le bandeau de leur blog préféré (comment ça quel blog ?).

Pour compléter ce menu littéraire viendront à leur heure le champagne, avec l’explosion de bulles de la bande dessinée, et bien sûr le café, petit noir matérialisé par le polar, accompagné de sa surprise du chef… Si en 2016 les rencontres thématiques ne sont plus reliées par un thème culinaire, les animatrices étant, comme vous le savez, d’incorrigibles et assumées gourmandes continuent de sélectionner des ouvrages en lien avec la cuisine. Retrouvez le programme de ces événements sur la page des animations de notre portail et dans notre agenda culturel Bibliomnivore (en version pdf en ligne ou papier sur les sites du réseau).

Bon appétit !

** citation de Gérard Chaliand, auteur de la préface

Marie

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