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Aventures cocagnesques

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Apicius, en français dans le texte

“Tiens, mais que vois-je ? Une édition de l’Art culinaire d’Apicius ! Et si je bidouillais un truc écrivais un article là-dessus ?” me suis-je dit un jour… La monomaniaque de l’Antiquité est de retour ! …oui, mais je ne reviendrai pas cette fois sur la figure de notre mascotte, ni sur la cuisine romaine, dont nous avons déjà parlé à plusieurs reprises. Je vais cette fois-ci évoquer la traduction française du traité, et en particulier le traducteur, Bertrand Guégan (1892-1943).

Celui-ci fit paraître la toute première traduction en français du traité De re coquinaria du cuisinier romain, en 1933, édition que nous avons acquise il y a deux ans pour enrichir le fonds gourmand. Ce n’est cependant pas pour sa connaissance du latin que Guégan est le plus connu (même si, de toute évidence, il a en raison de cela toute ma sympathie), mais pour son rôle d’éditeur scientifique (Le Songe de Poliphile, les œuvres des poètes Maurice Scève Aloysius Bertrand), et surtout sa place dans le milieu de la gastronomie et les connaissances qu’il a partagées sur l’histoire de celle-ci (latiniste et fin gourmet, un brave type, en somme).

C’est ainsi qu’il est décrit par l’académicien Henry Champly dans l’Anthologie des écrivains morts à la guerre (1939-1945) :

“lui, le cher garçon spirituel, avait trouvé la recette pour se mithridatiser contre les poisons du cerveau : entre un vin frais, une exquise acception nouvelle de truffes et un dizain de la Renaissance”.

Comme tout bon gastronome de son temps, il fut membre de l’Académie des gastronomes (fondée par Curnonsky en 1930) et même président du très prestigieux Club des Cent, ou Compagnons de Cocagne, fondé en 1912, qui réunit des personnalités des milieux culturels et gastronomiques et qui organise des repas chaque semaine dans des restaurants prestigieux. Vous trouverez des menus de quelques-uns de ces repas dans nos collections par ici et quelques mots à écouter ici :

Revenons à Apicius. L’édition en question est enrichie d’une vaste introduction, dans laquelle Bertrand Guégan revient sur les habitudes alimentaires et les us et coutumes de table des Romains : la répartition des repas dans la journée, les différents services et les mets de l’époque ; il évoque également les cuisiniers grecs dont on a gardé une trace, et la figure d’Apicius (tant la figure réelle que le qualificatif même d’Apicius pour désigner tout bon cuisinier à partir du deuxième siècle)  ; enfin, il expose le travail scientifique d’édition du texte, à partir des différentes copies réalisées au Moyen-Age et des éditions imprimées existantes, et ses difficultés, notamment l’attribution du texte à Apicius.

Mais Guégan est un gastronome bien de son temps, et a signé les parutions de plusieurs ouvrages qui ont fait date dans l’histoire de la gastronomie.

L’almanach de Cocagne

Voici un calendrier “dédié aux vrais gourmands et aux Francs Buveurs”, publié sous la direction de Bertrand Guégan en 1920, 1921 et 1922, qui se présente comme “utile et nutritif”, et où l’on trouvera les lunes, les éclipses, comme dans tout almanach, et… les sauces (oui, oui, c’est indiqué en tête du recueil). 

La forme est celle d’un almanach traditionnel, à ceci près que vous y trouverez un calendrier gastronomique comprenant les fêtes qui célèbrent en particulier les saints des métiers de bouche : boulangers, charcutiers, vignerons, etc.

A cela s’ajoutent des recettes, des textes de Guégan mais aussi d’auteurs prestigieux comme Nerval, Cocteau, Max Jacob, d’illustrations de Raoul Dufy et même d’une partition de la Marche de Cocagne d’Erik Satie, composée spécialement pour l’almanach de 1920. Le musicien, en contrat exclusif avec la maison d’édition de Guégan, envoya une nouvelle contribution à l’almanach en 1922, où il raconte ses repas avec Claude Debussy.

La marche de Cocagne d’Erik Satie, illustrée par Dufy

L’armoire de citronnier

Ce titre, paru en 1919, précède immédiatement les trois almanachs de Cocagne.

 

 

 

D’où vient ce titre étrange pour un almanach ? On trouve un semblant de réponse dans une petite note manuscrite trouvée dans l’édition conservée dans nos collections, de la main de l’épouse de l’écrivain Albert t’Serstevens (destinataire du tirage) :

“Bertrand Guégan m’avait dit que l’épigraphe “Or gourmandoit Senecque [les Rommains pour ce que ils enfermoient leur livres dans des armoëres de citronnier]” était de sa pure invention. Il n’en donne d’ailleurs pas l’auteur. Mais le fait de ranger certains livres et papiers précieux dans des coffres de citronnier est exact, comme il ressort d’une lettre de Symmaque (IVe s. ap. J.C.), livre IV, lettre 34″

Plusieurs vignettes gravées sur bois par Sonia Lewitzka entre autres illustrent des poèmes, des textes en prose, et sont accompagnées de recettes d’Edouard Nignon, d’anecdotes et de textes historiques, car Guégan reste un fervent bibliophile, et il conclut ainsi :

“Ces pages doivent sembler ennuyeuses à des lecteurs qui n’en peuvent même pas faire des cornets à bonbons. mais qu’ils veulent bien songer à l’os qu’il faut rompre pour sucer la ‘substantifique moëlle’, cette rare poésie enclose en un petit volume qu’un hasard nous a fait retrouver après qu’un autre l’a fait perdre”.

Le cuisinier français

Les années 1930 ont vu paraître plusieurs recueils de recettes à vocation quasi encyclopédique : Le cuisinier français, ou Les meilleures recettes d’autrefois et d’aujourd’hui, paru en 1934, constitue LA somme de l’époque en terme de gastronomie. Guégan y a consigné plus de 1200 recettes signés par des chefs contemporains et retrace l’histoire de la cuisine française depuis Taillevent jusqu’au début du vingtième siècle, en passant par Louis de Béchameil, Madame de Sablé ou encore La Varenne. L’auteur a de nouveau fait appel à Dufy pour illustrer la couverture de l’ouvrage.

 La fleur de la cuisine française

Autre entreprise conséquente, cette fois menée avec le chef Edouard Nignon, compagnon de table et de plume de Guégan (pour les almanachs et pour ses propres écrits, comme l’Heptaméron des gourmets), et chef du restaurant Larue à Paris (nous possédons un très beau menu établi par Nignon) ; ce dernier a signé la préface tandis que Guégan a compilé les recettes et enrichi les textes de notes.

Cliquez sur l’image pour accéder à la notice !

C’est d’ailleurs bientôt Mardi-Gras (vous aussi, vous comptez les jours ?!), je vous soumets donc une recette de beignets de crème fine, si jamais il vous prenait l’envie de refaire une frangipane après avoir mangé des galettes pendant tout le mois de janvier :

” On prend une bonne crème de frangipane ou à la moelle ; on fait en sorte qu’elle soit bien épaisse: lorsqu’elle est froide, on la roule en boulettes et on les trempe dans une pâte à frire : on les fait frire de belle couleur, et on sert chaud en glaçant de sucre en poudre.”

“Pourquoi, poètes, chanter toujours les aventures des capitaines ? La gloire aveugle couronne des fronts indignés et ceux qui méritent le laurier s’endorment souvent sans avoir connu sa fraîcheur. A-t-on jamais songé aux héros obscurs qui vouèrent toute leur vie et toute leur valeur à la tâche d’embellir le goût et de lui fournir des plats dignes de la finesse de notre race ?”, c’est par ces mots que débute le texte d’Edouard Nignon (qui, décidément, m’est également très sympathique). C’est vrai quoi, on attend toujours l’épopée qui mettrait en scène des légumes ennemis combattant ardemment pour le titre de meilleur gratin du monde !… Quoiqu’on trouve bien des oiseaux aux ailes faites non pas de plumes, mais de légumes dans le récit utopique Histoire véritable de l’auteur grec Lucien de Samosate… Zut, voilà que je refais ma monomaniaque…

Mathilde

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