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Tous à table ! Les fêtes de rupture du jeûne

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Heures Berbisey, dernier quart du 15e siècle, BMD, cote MS 3765, f° 3 verso (calendrier)

Heures Berbisey, 15e siècle, BMD, cote : MS 3765, f° 3 verso (calendrier)

Dans la religion chrétienne, la fête de Pâques vient clore le temps du Carême, ouvert 40 jours plus tôt par les réjouissances de Carnaval. De tels rites et festivités se retrouvent dans les 3 religions monothéistes, à des dates différentes en fonction des calendriers de chacun : en effet, un calendrier constitue un ensemble de repères temporels et sociaux, en fonction des croyances, des rôles établis et des règles régissant une société.

Les fêtes qui rythment le calendrier et les repas qui y sont liés appartiennent ainsi à un ensemble cohérent, et il est impossible de parler de l’une sans évoquer les autres.

Menu du Carnaval de 1929 à Colmar © BM Dijon M III-1023

Menu du Carnaval de 1929 à Colmar BMD M III-1023

Carnaval est le temps de l’excès et du monde à l’envers, quelques jours “hors du temps” qui font le lien entre les calendriers lunaire et solaire, hérités de traditions antiques dont les rites permettent d’assurer la renaissance de la nature et des hommes pour une nouvelle année. Intégré à la religion et au calendrier, le temps de Carnaval, ou de Pourim dans la tradition juive, est le temps où les règles de la société sont inversées, ou tous les excès sont permis, où l’on mange une nourriture carnée et grasse, avant que ne viennent le temps du jeûne et ses restrictions.

Ces repères temporels et symboliques se retrouvent dans les 3 grandes religions monothéistes, avec d’importantes constantes :

 – la notion de spiritualité, dans un sens qui va au-delà du religieux, liée à la nourriture et en particulier au jeûne, qui est alors le moyen de prendre de la distance avec le monde matériel et ses considérations pour se rapprocher du spirituel

 – la solidarité, à travers le repas pris avec la famille et les amis, mais aussi le don de nourriture aux autres, aux proches et aux plus démunis

La fête chrétienne de Pâques, la pâque juive Pessah et l’Aïd concrétisent le moment de rupture du jeûne.

Stéphanie Schwartzbrod, Saveurs sacrées..., Actes Sud, 2007, BMD G I-45477

Stéphanie Schwartzbrod, Saveurs sacrées, recettes rituelles des fêtes religieuses, Actes Sud, 2007, BMD G I-45477

C’est la fin du jeûne respectivement du Carême, du 13 adar et du Ramadan. Les repas liés à ces festivités sont donc particulièrement importants et riches. Les traditions liées à ces fêtes et des recettes sont explicitées dans différents ouvrages du fonds gourmand, livres de cuisine de fêtes et des religions, et en particulier dans Saveurs sacrées, recettes rituelles des fêtes religieuses, publié par Stéphanie Schwartbrod aux éditions Actes Sud en 2007.

Pessah commémore la libération du peuple hébreux de l’esclavage à sa sortie d’Égypte, guidé par Moïse, suite à la 10e plaie, qui vit mourir les nouveaux-nés égyptiens, les nouveaux-nés hébreux ayant été sauvés par le sang de l’agneau pascal apposé comme marque aux portes de leurs maisons. Elle fait partie des 3 fêtes de pèlerinage, occasion de se rendre au temple de Jérusalem, et est célébrée pendant 8 jours (7 en Israël), du 14 nissan au soir au 21 nissan au soir (le calendrier hébreux est lunaire et le coucher du Soleil, plutôt que son lever, est considéré comme le début de la journée). Tous les soirs de cette semaine sont associés à des rites, comprenant des actions, des lectures et des repas très précis.

Pâques est la fête qui commémore, dans la religion chrétienne, la résurrection du Christ ; elle est célébrée tous les dimanches jusqu’au 2e siècle de n.-è., puis devient annuelle. En 325, le Concile de Nicée fixe la date du jour de Pâques au dimanche qui suit la pleine lune après l’équinoxe de printemps, entre le 22 mars et le 25 avril. Le lundi de Pâques est une réminiscence du temps où les célébrations de Pâques s’étendaient sur toute une semaine en commémoration du tombeau retrouvé vide.

L’Aïd débute au coucher du Soleil le dernier jour du mois de Ramadan, neuvième mois de l’année musulmane, qui suit un calendrier lunaire. Le Ramadan commence dès que le croissant de lune indiquant le début du mois a été vu avec certitude : les autorités religieuses l’annoncent donc juste avant son commencement, c’est pourquoi on ignore encore quand il débutera même quelques jours plus tôt. L’Aïd al-Fitr, qui signifie littéralement “fête de la rupture”, est le point de départ de 3 jours de réjouissances. C’est la fin d’une période de renoncement : il est alors d’usage de porter des habits neufs ou, à défaut, ses plus beaux habits, et de remettre à neuf sa maison. Traditionnellement, les adultes visitent leurs aînés, on échange des vœux pour l’année qui vient, on se réconcilie avec ceux avec qui l’on s’était brouillé.

C’est très intéressant tout ça mais… qu’est ce qu’on mange ?

Le Seder de Pessah, Haggada de Erna Michael, Allemagne, vers 1400, musée d'Israël, Jérusalem

Le Seder de Pessah, Haggada de Erna Michael, Allemagne, vers 1400, musée d’Israël, Jérusalem

Dans l’Antiquité, le mot “pâque” désignait l’agneau sacrifié dont on utilisait le sang pour oindre les contours des portes ou les piquets de tentes dans un but de protection, pour détourner les mauvais esprits et protéger son foyer. Il existait également une fête du pain sans levain, réalisée par certaines communautés agricoles au début de la moisson. Lors de Pessah, aussi appelée fête des azymes (c’est-à-dire pain sans levain), il est interdit de manger du pain levé, en souvenir du pain cuit à la hâte (n’ayant pas eu le temps de lever) lors de la fuite précipitée hors d’Égypte : pain de misère mais aussi pain de liberté. La veille au soir (le 13 nissan, pour ceux qui suivent), on part à la recherche  de 10 morceaux de pain cachés à cette fin dans la maison : c’est le Bedika Hamets. Tout comme les privations matérielles amènent aux considérations spirituelles, le fait d’extraire le levain de son foyer est destiné à l’extirper de son cœur. Le lendemain matin, après un dernier repas de pain, on supprime les derniers restes de nourriture levée et on brûle les miettes recueillies la veille.

La première nuit est celle du Seder, qui signifie cérémonie, ordre ; c’est le grand événement de Pessah et il fait l’objet d’un repas minutieusement réglé : on dresse sur la table revêtue de sa plus belle nappe une vaisselle spéciale, et au centre trône le plateau de Seder : un os d’agneau, en rappel du sacrifice de l’agneau pascal, 3 matsot (pain de misère) fabriqués uniquement à base de farine et d’eau, le maror (herbes amères), composé de laitue, de céleri ou de persil, de cerfeuil, de radis ou de raifort, qui rappellent l’amertume de la vie en Égypte, un œuf dur, symbole de deuil et de renaissance, un verre de vinaigre ou d’eau salée, pour les larmes versées, enfin du harosset, qui est une sorte de compote, mélange de pommes, de noix pilées, de cannelle et de vin, qui symbolise le mortier fabriqué pour les Égyptiens par les Hébreux au temps de l’esclavage, et par son goût la douceur de la liberté retrouvée. On trouve également sur la table des légumes nouveaux, Pessah étant aussi la fête du printemps et du renouveau. Les pâtisseries sont particulières puisqu’elles ne doivent comporter aucun produit levé.  Des recettes traditionnelles pour Pessah et les autres fêtes de la tradition juive sont présentées dans l’ouvrage Les fêtes juives : traditions et cuisines du monde entier, édité par J.-C. Lattès en 1991.

Isabelle Garnier, Hélène Renard, La cuisine du Bon Dieu, Presses de la Renaissance, 2007, BMD G II-36381

Isabelle Garnier et Hélène Renard, La cuisine du Bon Dieu, Presses de la Renaissance, 2007, BMD G II-36381

Dans la religion chrétienne, il est de tradition de se retrouver à Pâques pour partager un repas et manger de l’agneau en souvenir de ce sacrifice. Caroline vous livre ses recettes ovines (plat et dessert) dans son article Le gigot appartient à ceux qui se lèvent tôt. L’agneau, symbole de la renaissance de la nature au printemps dans l’Antiquité, est animal du sacrifice et mets de fête dans les 3 religions monothéistes, civilisations méditerranéennes et pastorales. Dans La cuisine du Bon Dieu, fêtes et recettes, célébrations du terroir, publié par Isabelle Garnier et Hélène Renard aux Presses de la Renaissance en 2003, on trouve une recette d’agneau pascal au miel préparé avec un baron d’agneau, c’est-à-dire les deux gigots ensemble, ce qui, à en croire les auteures, fait toujours grand effet.

Menu de Pâques, 1er evril 1945, BMD, cote : M II-1518

Menu de Pâques, 1er avril 1945, BMD, cote : M II-1518

Le don d’œufs est attesté localement (notamment en Alsace) dès la fin du Moyen-âge. En revanche, ce n’est qu’au 19e siècle qu’apparaît l’habitude de distribuer des sujets en chocolat ou  en sucre. Dans l’Europe catholique, ces friandises sont censées être distribuées dans les jardins par les cloches revenant de Rome.

En effet, jusqu’au début du 20e siècle, les cloches ne sonnaient pas le jour du Vendredi saint (vendredi précédant Pâques), jour commémorant la mort du Christ, et l’on disait alors qu’elles étaient parties à Rome, siège de la papauté.

Lors de l’Aïd, on invite les proches pour déguster les gâteaux qu’on a commencé à préparer une dizaine de jours auparavant, on sort les bras chargés de plateaux de douceurs que l’on distribue (familles, amis, mais aussi voisins et personnes les plus démunies) jusque très tard dans la journée. L’Aïd est l’occasion de manger à nouveau du couscous, mais aussi de nombreuses pâtisseries.

Fatéma Hal, Ramadan, la cuisine du partage, Agnès Viénot, 2007, BMD G II-39779

Fatéma Hal, Ramadan, la cuisine du partage, Agnès Viénot, 2007, BMD G II-39779

Fatéma Hal, dans son ouvrage Ramadan, la cuisine du partage, publié chez Agnès Viénot en 2007, rapporte certains souvenirs d’enfance, et on salive avec elle à l’évocation du plateau de gourmandises apportées par une voisine travaillant dans une famille juive, et des douceurs partagées par sa mère : ghriba, kaak, makroutes, losanges aux dattes, griouches

L’auteure nous prévient également de ne pas nous offusquer si, étant invité chez des amis marocains, on ne déguste pas les pâtisseries que l’on a apportées : en effet, il est de tradition de partager ces présents en famille, et de proposer à ses invités les plats et pâtisseries que l’on a soi-même réalisés, ce qui peut valoir quelques malentendus. Comme elle l’explique elle-même : “j’ai dû froisser quelques-unes de mes amies […] jusqu’au jour où l’une d’elles a fini par craquer : “Mais pourquoi mets-tu toujours de côté mes gâteaux ?” Je tombai des nues !”

“Les habitudes culturelles sont tellement ancrées en nous qu’on a parfois du mal à concevoir que celles d’autrui puissent être différentes.”

Mais revenons à nos moutons : dans cet ouvrage on trouve aussi, bien sûr, des recettes pour l’Aïd : carrés de semoule confite, sablés aux dattes, couscous fin aux poires, baklawa aux noix, cornes de gazelle, biscuits aux amandes et à la confiture, makroutes aux zestes d’orange, bracelets de la mariée, cigares aux amandes…

Il y aurait encore beaucoup à dire sur les traditions, en particulier culinaires, liées à la rupture du jeûne dans les 3 religions monothéistes, et à l’évolution de ces festivités au cours de l’histoire et dans la société contemporaine.

De Pourim à Pessah, du Ramadan à l’Aïd, de Carnaval à Pâques, en passant par les différentes périodes de jeûne, l’idée de partage apparaît comme essentielle.

Ce n’est pas nous, bibliothécaires dijonnais-e-s, qui nous en plaindrons, nous qui dégustons régulièrement des gourmandises concoctées par les uns et les autres (y compris les jeunes retraités !), et qui savourons les pâtisseries traditionnelles de la fin du Ramadan apportées pour nous par notre collègue Faouaz.

Marie

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1 Reponse

  1. Avatar Mireille Poulain-Giorgi 7 avril 2015 / 7 h 35 min

    Superbe article… œcuménique.

    Il y a quelques années, en 1997, dans un petit bouquin intitulé La cuisine des grands-mères, j’avais invité tous mes élèves à m’apporter une recette originale de leur grand-mère.
    C’est ainsi que j’avais avais appris tout, tout, tout sur … le mouton.

    “Mustafa: ” Mon père achète lui-même ses moutons plusieurs fois dans l’année. Il va quelquefois à Pierrepont dans la Meuse. Il tue l’animal sur place.”
    Bouabdellah: “Je sais découper le mouton. (il griffonne sur un papier un schéma) Ça, c’est pour la soupe, ça pour les rôtis. Ça, ce sont les meilleurs morceaux. On l’achète 14F. le kg. On fait toujours une prière avant de tuer la bête. On dit “Au nom d’Allah, je tue la bête et que Dieu l’accepte!” (Il regarde Nordine. Ils ne sont pas bien sûrs de la traduction.) “Ce n’est pas facile en français.”
    Nordine: “Moi, j’aime tout dans le mouton: le cœur, les poumons, la tête, les intestins.”
    Bouabdellah fait une grimace: “Moi, je n’aime que les côtes d’agneau. Je n’aime pas l’odeur du mouton…” (Paradoxe! Lui qui tue les bêtes.)
    Moustafa: (il revient à la tête de mouton en sauce) “C’est délicieux, madame. Ça fond dans la bouche!”
    *****
    Lundi 13 janvier 1997, 14h.30, Riadh suit le jeûne du Ramadan. Il a cessé de manger depuis ce matin 6 h.50. Il tire un petit papier soigneusement plié dans sa poche. Il pourra manger à partir de 17h.08. Il a d’ailleurs quelque chose dans son sac qu’il avalera dans l’autobus. Il ne souffre pas de la faim. Il a seulement soif. Il me dit: “C’est moins difficile en hiver. La première fois que j’ai fait le Ramadan, c’était l’été. Il faisait très chaud. C’était très dur.”
    Quand il rentrera chez lui, sa mère aura préparé plusieurs plats qu’elle aura mis sur la table. En période de Ramadan ils mangent plus et mieux. C’est à chaque fois une petite fête. Avant de manger, sa mère et son père font la prière. Lui il ne la fait pas. La question me brûle les lèvres : “Pourquoi?”
    – ” … Ben, pour faire la prière, il faut être bon, il faut accepter de devenir meilleur, de faire des efforts. Moi, je suis encore jeune…. Quand je serai marié avec des enfants, je ferai la prière!…”

    7 avril 2015. Riadh doit avoir aujourd’hui plus de trente ans. Où en est-il du Ramadan et de la prière?

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