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Manger et boire entre 1914 et 1918. CR 6. L’armée et les boissons alcoolisées par Charles Ridel

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cafard

Carte postale (archives de la BDIC). “Ne me laissez jamais manquer de pinard. il n’y a que ça pour tuer le cafard !”

La deuxième thématique des journées d’études concernait le vin et l’alcool au front. Charles Ridel a ouvert la réflexion avec une intervention intitulée “L’armée et les boissons alcoolisées entre 1914 et 1918 : des liaisons dangereuses ?”. Charles Ridel est professeur agrégé d’histoire au lycée Léopold Sedar Senghor d’Evreux ; il a consacré sa thèse d’histoire aux embusqués (EHESS sous la direction de Stéphane Audoin-Rouzeau) et l’a publiée chez Armand Colin en 2007. Il travaille actuellement sur les pratiques d’alcoolisation dans l’armée et sur le front pendant la Grande Guerre.

L’usage des boissons alcoolisées dans l’armée en guerre

Avant guerre déjà, l’armée a réfléchi à cette question, dans un contexte national fortement anti-alcoolique. Des traités d’hygiène militaire définissent comment le soldat doit boire. Une hiérarchie est établie, avec des prescriptions précises : combien peut-on boire et dans quelles circonstances.

  • L’armée place l’eau comme la boisson ordinaire, avec la nécessité de la rendre potable, les pertes de la Guerre de Crimée étant encore dans les esprits.
  • Le café et les infusions sont recommandés pendant les longues marches et en cas de troubles intestinaux.
  • La bière, le cidre, l’hydromel, le vin, considérées comme boissons hygiéniques, sont celles des manœuvres et des bivouacs car elles sont caloriques (le vin est un aliment), microbicides et toniques. La dose est d’un litre maximum par jour.
  • Les alcools distillés sont en principe proscrits car ils poussent à l’indiscipline et rendent malades. Ils n’apparaissent jamais comme une boissons recommandées avant l’assaut pour donner du courage aux hommes. Mais ils reviennent pas la petite porte : dilués, l’été, pendant les fortes chaleurs, ou dans leur forme pure, pendant les manœuvres d’hiver.

… Mais quand on compare cette hiérarchie à la réalité des pratiques de 1914, on constate un vrai fossé puisque chaque Français consomme en moyenne 30 litres d’alcool pur par an ! Et en effet, cette hiérarchie peut s’inverser en temps de guerre du fait des circonstances exceptionnelles.

repas

Repas d’une escouade sur le front, 1916 (Archives de la BDIC)

Quand la guerre éclate, les problèmes sanitaires font que les soldats disposent de peu d’eau et s’en méfient.L’Académie de médecine recommande aux soldats de boire 75 cl de vin par jour pour ces raisons sanitaires. Des raisons politiques existent aussi ; le vin, boisson fermentée, chaude et savoureuse, est considéré comme la boisson nationale, face à une bière allemande décriée pour son amertume, considérée comme froide. Enfin, un facteur militaire et anthropologique explique cette place primordiale du vin dans la ration alimentaire du soldat français : en échange du don physique que font les soldats, les officiers distribuent du vin. En somme, ce don et ce contre-don soudent un pacte hiérarchique. Peut-on pour autant parler “d’arrosage alcoolique” ? Cette affirmation doit être modérée. En effet, l’Etat-Major met en place une législation sur la consommation d’alcool au front : il est interdit aux soldats d’acheter ou d’accepter des dons d’alcool et les doses distribuées les plus élevées seront de 75 cl de vin + 1/16 d’alcool fort.

La réalité de l’abus de boisson au front, l’ivresse endémique : l’armée est-elle complice ?

Pendant la guerre, tandis que la consommation d’alcool chez les civils baisse, celle des soldats augmente, ou du moins l’offre qui leur est faite.

Une enquête du docteur Camille Lian auprès de 150 territoriaux du 209e régiment territorial d’infanterie montre que 54 % des hommes sont de grands ou de très grands buveurs :

  • grands buveurs : entre 2 et 2,5 litres de vin par jour ou l’équivalent en vin avec un ou deux apéritifs.
  • très grands buveurs : au moins 3 litres de vin par jour ou l’équivalent en vin avec apéritif ou eau de vie.
munitions

Le couple poilu/pinard (Archives de la BDIC)

Malgré les réglementations qui limitent, en théorie, la consommation, les poilus ont en effet le droit d’acheter des vins et vins doux naturels (< 18 °) dans les camions bazars et les coopératives ; quant à l’alcool fort, ils ont différents circuits pour s’en procurer : débits clandestins, colis familiaux, achats directs aux producteurs de la zone des armées. Un véritable circuit d’alcoolisation parallèle à celui de l’intendance s’est mis en place.

Par ailleurs les officiers au contact des soldats font preuve d’une grande tolérance devant l’ivresse ; ils ont compris qu’il y a un boire convivial et un boire de l’oubli. Les officiers retardent généralement les sanctions, ils gèrent les problèmes à l’amiable en isolant le soldat, voire en l’attachant pour qu’il ne se nuise pas à lui-même en commettant des délits. On trouve peu de cas de jugements pour ivresse en conseil de guerre et si cela arrive, c’est qu’on ne peut faire autrement.

L’alcool joue un rôle pendant les mutineries de 1917, aggravant les effets de la chaleur et de la fatigue. Pétain l’a compris, qui autorise les commandants à stopper les distributions de vin, à modifier le versement des primes ; par ailleurs il est désormais possible de percevoir sa ration d’eau de vie en argent.

En 1918, le couple soldat / pinard est bien formé, la guerre a contribué à forger des idées reçues sur le sujet et à révéler aussi la position paradoxale de l’armée par rapport à l’alcool, position qui est aussi celle de la société française et du pouvoir politique.

 Caroline

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