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Manger et boire entre 1914 et 1918. CR 15. Les “recettes économiques” de guerre par Emmanuelle Cronier

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Deux des affiches incitant aux économies réalisées par des enfants dans le cadre du Comité national de prévoyance et d’économies. Coll. BM Dijon

affiche-économie-sucrePour compléter l’intervention de Marie Llosa sur la cuisine dans les tranchées, Emmanuelle Cronier (que vous avez déjà entendue ici) est intervenue sur “les ‘recettes économiques’ de guerre, une illusion ménagère ?”. Ce travail portait sur les recettes publiées dans des manuels ou dans la presse et se présentant comme “de guerre” ou “économiques” : dans quel cadre apparaissent-elles ? pour qui ? ont-elles une utilité quelconque ?

Emmanuelle Cronier rappelle d’abord le contexte alimentaire pour les femmes vivant en ville, qui sont la cible de ces recettes.

  • les difficultés d’approvisionnement pour les matières premières nécessaires à la cuisine et pour les combustibles.
  • la journée de travail des femmes qui s’allonge : de 9 heures en moyenne avant guerre, on passe à 11 heures pendant la guerre, avec un travail en alternance le dimanche. Les femmes doivent encore consacrer du temps aux files d’attente devant les magasins, après leur journée de travail.
  • le cadre même des repas change : les hommes ne sont plus là, les repas à l’extérieur (en cantine) se multiplient.

Des recettes présentées comme une réponse pragmatique à la crise, dans une logique d’économie

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B. Renaudet. La Cuisine française économique et hygiénique en temps de guerre. Coll. BM Dijon

La guerre est en effet une opportunité éditoriale pour l’édition et la presse, c’est l’occasion de convoquer des experts pour répondre aux difficultés de la vie quotidienne. Ménagères, voici la cuisine économique de guerrePour faire à peu de frais la meilleure pâtisserie de ménagePour la vie moins chère. Pâtes et légumes secs sont autant de titres pour capter l’attention des ménagères. Dans le journal La Liberté, petit journal d’affaires, on trouve à partir de mai 1917 une rubrique intitulée “La vie chez soi” écrite par Benjamin Renaudet, bien connu comme auteur de livres de cuisine. Il participe à l’effort de guerre en… écrivant sur l’art d’accommoder le gigot frigorifié (27 décembre 1917), sur les restes ou encore la cuisson lente. La bibliothèque conserve deux livres de cet auteur, écrits pendant la guerre : Comment il faut préparer les fruits et les confitures pendant la guerre et La Cuisine française économique et hygiénique en temps de guerre. D’autres journaux ont leurs chroniques dédiées, le Daily Mail avec Misses Peal ou La Belgique avec Tante Colinette. Certains textes seront réédités après guerre, ou pendant la Seconde Guerre mondiale.

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Article “Gigot frigorifié” par B. Renaudet, rubrique “La vie chez soi pendant la guerre” dans La Liberté, 27 décembre 1917. Cliquez pour agrandir !

Des promesses : ces ouvrages expliquent généralement en quoi ils sont intéressants dans leurs introductions et préfaces, ils justifient en quelque sorte par leur utilité que les ménagères dépensent de l’argent pour les acheter : leur lecture permettra de dépenser moins pendant les courses (on y trouvera des conseils sur les prix, et sur les marchands dont on se méfie), de conserver un régime équilibré, de cuisiner plus vite.

Cohérentes ou fantaisistes ! Emmanuelle Cronier, avec la même démarche expérimentale que celle exposée ici,  cherche à tester ces propositions de la littérature de guerre pour vérifier leur cohérence… En effet, sans connaissances culinaires et même sans tester, l’historien ne peut vérifier l’intérêt économique de toute cette production à la simple lecture. Au final certains conseils et recettes sont efficaces mais d’autres se révèlent plus fantaisistes.

Voici quelques exemples des conseils donnés :

  • on trouve beaucoup de recettes de beignets ; en effet ce mets donne l’illusion de la quantité MAIS l’huile est très chère et l’ébullition demande beaucoup de combustible !
  • la pomme de terre est proposée comme ingrédient de substitution, pour l’omelette sans œufs ou le fromage de chèvre sans lait : cela fonctionne en terme de consistance mais le goût est fortement impacté. Happy Apicius vous en avait déjà parlé ici avec le gâteau à la patate.
  • les conseils traitent aussi de la cuisson, du fait du manque de combustible. Renaudet suggère d’utiliser les fours des boulangers après leur fournée. La “marmite norvégienne” (voir le schéma ici) est présentée dans les ouvrages, elle est le sujet de travaux pratiques dans les écoles et se révèle très efficace pour les plats mijotés et le riz… on en est sûr puisque Emmanuelle Cronier en a réalisé une ! Et d’ailleurs cette méthode est remise au goût du jour actuellement.
  • En calculant le prix de revient des recettes, certaines se révèlent inabordables, comme le poireau-vinaigrette (parce que les poireaux sont très chers en ville) ou le flan aux œufs pour lequel il faut… 15 œufs par litre de lait ! La recette triche en proposant d’en faire pour un demi-litre. Peut-on conclure de ces recettes faussement économiques qu’elles n’ont d’autre but que de donner bonne conscience aux bourgeoises qui peuvent encore se permettre d’être dépensières ?

Des recettes pour mobiliser la sphère domestique dans la guerre

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Affiche incitant les femmes aux économies. Coll. BM Dijon, non coté

L’hypothèse d’Emmanuelle Cronier pour expliquer l’abondance de ces publications et la fonction réelle de ces recettes est la volonté de mobiliser la sphère domestique dans la guerre, dans une logique de mobilisation générale. Au devoir militaire des hommes répond le devoir domestique des femmes dont les économies, l’ordre, la prévoyance contribuent à la victoire. Les femmes, mais aussi les enfants, sont sollicités par des campagnes appelant aux économies : affiches, leçons à l’école ou encore concours d’illustrations sur ces sujets. La cible est double : les milieux populaires urbains / les élites oisives soupçonnées de ne pas mettre en œuvre les économies nécessaires mais aussi les femmes en général dont il faut guider la moralité (de leurs dépenses, de leur sexualité, des soins qu’elles donnent à leurs enfants).

Pour terminer, ajoutons que la guerre est l’occasion pour les mouvements des écoles ménagères de diffuser les manières professionnelles que les femmes pourront appliquer dans leur foyer.

Caroline

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