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Manger et boire entre 1914 et 1918. CR 12. Les restaurants économiques de Bruxelles par Peter Scholliers

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La deuxième intervention du samedi 15 novembre était assurée par Peter Scholliers et s’intitulait “Restaurants économiques de Bruxelles : la bourgeoisie affamée dans un pays occupé”. Elle abordait concrètement les conséquences du conflit sur les populations.

File d'attente devant une boulangerie de Bruxelles. ©Archives de la Ville de Bruxelles

File d’attente devant une boulangerie de Bruxelles. ©Archives de la Ville de Bruxelles

Peter Scholliers est professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Bruxelles ; il dirige par ailleurs le centre de recherche FOST (Social and Cultural Food Studies). Ses domaines de recherche concernent l’histoire de l’alimentation, le patrimoine industriel et la culture matérielle. Il est l’auteur de plusieurs publications.

Pour ouvrir l’intervention, Peter Scholliers évoque le film “Les restaurants bruxellois” de Hippolyte de Kempeneer réalisé en 1919 et numérisé par la Cinémathèque royale de Belgique. Le film est visible à partir d’Europeana, la bibliothèque numérique européenne. Il a été donné par les descendants d’Antony Neuckens, directeur de la société coopérative gérant les restaurants bruxellois.

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Le film les restaurants bruxellois : cliquez sur l’image

Avant la guerre, Bruxelles est une cité florissante et de loisirs, qui a accueilli l’Exposition Universelle de 1897 et de 1910, capitale d’un pays qui connaît, comme la France, la Belle Epoque, le second plus riche par tête après la Grande Bretagne. Même si les inégalités sociales y sont fortes, on y constate des améliorations : concernant l’alimentation, le nombre de calories par jour pour un ouvrier passe de 2200 calories en 1891 à 2510 en 1910 et la nourriture s’améliore aussi qualitativement.

La Mort en Belgique. La Cravache, 1916, n° 10. ©Archives de la Ville de Bruxelles

La Mort en Belgique. La Cravache, 1916, n° 10. ©Archives de la Ville de Bruxelles

La guerre est un traumatisme pour le pays : occupation, brutalités exercées par l’armée impériale, exode et migrations forcées, cessation des activités industrielles, agricoles et commerciales, augmentation du chômage, arrêt des importations, tout cela entraîne l’accroissement des inégalités sociales. La situation influe bien sûr sur l’accès à la nourriture : augmentation des prix, phénomène de stockage, paniques, fraudes alimentaires (coupage du lait à l’eau par exemple, de la farine, comme le montrent les dessins de Keym), spéculation…

En septembre, l’aide internationale s’organise. Face à une guerre qui s’éternise sans qu’on l’ait anticipée, la famine menace en 1916 et s’installe en 1917 : le nombre de calories pour un ouvrier bruxellois est passé à 1390 par jour. Les Belges mettent en place des stratégies de survie, plantations potagères, marché noir et aides alimentaires : soupes populaires, distribution de pain et de rations additionnelles surtout pour les nouveaux-nés, les jeunes mères, les malades et les chômeurs.

Caricature d'Emile Keym illustrant le coupage du lait avec de l'eau. ©Archives de la Ville de Bruxelles

Caricature d’Emile Keym illustrant le coupage du lait avec de l’eau. ©Archives de la Ville de Bruxelles

C’est dans ce contexte que se met en place le concept de restaurant économique à Bruxelles. En 1917 l’accès à la charité publique s’est généralisé à la petite et à la moyenne bourgeoisies (employés de l’administration, rentiers, entrepreneurs, commerçants…) dont les salaires et revenus sont réduits par l’inflation. L’alimentation occupe une part de plus en plus importante des dépenses : de 35 à 45 % des dépenses totales en 1913, on passe en 1917 à 65-75 % !

L’idée de restaurants économiques est lancée en 1914 : ils commencent modestement en 1915 et sont supprimés en 1918. Le nom choisi, “restaurant”, n’évoque pas l’aide sociale ni même la cuisine populaire (comme estaminet, réfectoire, cantine) mais fait étonnamment référence au luxe. Le public touché explique peut-être ce choix ? En effet, le dispositif n’est pas gratuit : le prix est modeste et proportionnel au revenu de l’utilisateur et des familles bourgeoises vont en bénéficier ; certains envoient même un domestique chercher les plats (on peut consommer sur place ou emporter) pour ne pas être vus. Ces restaurants sont financés par les banquiers belges et l’or de la banque royale conservé en Grande Bretagne, ainsi que pas les Etats-Unis. En moyenne les gens payaient 44 % du prix.

La société coopérative intercommunale qui gérait les restaurants suivait 45 locaux (cuisine centrale, bureaux…), 36 restaurants autonomes et 40 restaurants gérés directement.

Un repas comprenait :

  • un demi-litre de potage
  • 100 à 125 grammes de viande
  • 500 grammes de pommes de terre
  • 100 grammes de légumes
  • 60 grammes de pain
  • un verre de bière ou une tasse de café

En 1918, 18 millions de repas auront été distribués.

Dans la tourmente qu’a été la guerre pour les Belges, les classes bourgeoises ont fait face jusqu’en 1917, date à laquelle toute la population a dû affronter les mêmes difficultés. La crise économique a bien sûr augmenté l’hostilité ressentie face aux Allemands mais aussi l’animosité entre villes et campagnes, heureusement contrebalancée par la figure unificatrice du roi Albert.

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Caricature d’Emile Keym : la farine coupée de plâtre, de son, de sciure… ©Archives de la Ville de Bruxelles

Caroline

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