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Il était une fois… la galette du Petit Chaperon rouge

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Le panier du Petit Chaperon rouge, la galette et le petit pot de beurre qu’elle porte à sa grand-mère, sont des éléments incontournables du conte, parmi ceux qui viennent tout de suite à l’esprit. On trouve des recettes de cette galette dans différents ouvrages, comme Des contes dans mon assiette et La cuisine des contes, des “galettes au beurre de la mère-grand” dans La cuisine des fées et sa version pour la jeunesse La petite cuisine des fées, et même une recette de galettes de pomme de terre dans La cuisine des fées ou Comment faire des merveilles sans être magicienne. Attention, réaliser ces recettes ne garantit pas de croiser le Loup en chemin !

Des contes dans mon assiette La cuisine des fées ou comment faire des merveilles La cuisine des fées

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“Un jour, sa mère ayant cuit et fait des galettes lui dit : “Va voir comme se porte ta mère-grand, car on m’a dit qu’elle était malade ; porte-lui une galette et ce petit pot de beurre.” Le Petit Chaperon Rouge partit aussitôt pour aller chez sa mère-grand, qui demeurait dans un autre village. En passant dans un bois, elle rencontra compère le Loup, qui eut bien envie de la manger, mais il n’osa, à cause de quelques bûcherons qui étaient dans la forêt.”

Chaperon Doré

Le Loup selon Gustave Doré             FD IV-9

C’est ainsi qu’est évoquée la galette dans Le Petit Chaperon rouge de Charles Perrault, un grand classique des contes de fées. Un grand classique… qui existe en de nombreuses versions. Comme vous le savez peut-être, ces histoires sont à l’origine diffusées par la tradition orale. Les cont-eurs-euses, au gré de leur inspiration et de leurs publics, modifient leurs récits autour de schémas narratifs et d’éléments constants. Le “chaperon rouge” lui-même, par lequel le conte est connu aujourd’hui, est un élément récent, ajouté par Perrault à la toute fin du 17e siècle. La galette et le petit pot de beurre, en revanche, font partie des constantes relevées par les chercheurs dans la tradition orale. Avec des variantes culinaires, tout de même, selon les régions et leurs traditions. Dans le Nivernais, c’est l'”époigne” et le pot de crème (ou la bouteille de lait) que la jeune fille porte à sa “grand”. Au-delà du conte, cela nous renseigne sur une tradition forte dans les campagnes françaises (et européennes) jusqu’au début du 20e siècle : le rôle social des enfants, et notamment celui de transporter la nourriture.

Tout le monde se souvient de la galette du Petit Chaperon rouge. Mais vous êtes-vous déjà posé la question :

Qui a mangé la galette ?

Personne ! Le repas servi à la table de la mère-grand est d’une tout autre nature… Vous pensez au Loup qui dévore la grand-mère, et dans certaines versions, la petite fille avec ? Vous avez raison. Le conte de Perrault s’achève d’ailleurs de cette façon : “Le Loup se jeta sur le Petit Chaperon rouge, et la mangea.” Point. Dans les versions orales, on retrouve comme constante la petite-fille qui, sur les indications du Loup, cuisine et mange son aïeule. Dans le Conte de la mère-grand, version nivernaise rapportée par Paul Delarue¹ : “La petite fille s’amusa à ramasser des aiguilles ; et le bzou [le loup en patois local] arriva chez la mère-grand, la tua, mit de sa viande dans l’arche et une bouteille de sang sur la bassie. […] Prends de la viande qui est dedans et une bouteille de vin qui est sur la bassie. Suivant qu’elle mangeait, il y avait une petite chatte qui disait : “Pue !… Salope !… qui mange la chair, qui boit le sang de sa grand.””

Le sens de ce repas cannibale, et sa place dans un conte pour enfants ?

Repas de mariage. J. Maderni.

Une illustration et un extrait du conte sur un menu de mariage M II 1727

Les contes n’étaient pas, en réalité, des histoires réservées aux plus jeunes, mais racontées à tous lors des veillées dans les villages. Quant au sens de la petite fille qui, envoyée par sa mère, rend visite à sa mère-grand pour la dévorer, c’est celui de la succession des générations et de la passation des rôles sociaux : la jeune fille pubère² prend alors la place de celle qui ne peut plus enfanter, et est pour cela encouragée par le “loup”… La galette a été oubliée en route, la jeune fille ne joue plus son rôle (social) de porteuse de nourriture, puisqu’elle n’est désormais plus une enfant. Nous sommes bien loin des récits contemporains, dérivés pour la plupart du conte de Perrault, où le Loup devient le Grand Méchant, symbole des mauvaises rencontres (masculines) que les jeunes filles pourraient faire. Et oui, les versions anciennes de nos si tendres contes pour enfants sont en fait assez… gores.

L’évolution s’est poursuivie. Dans les variantes les plus récentes, on observe une tendance forte à imaginer un Grand Méchant Loup pas si méchant, ainsi qu’à réunir dans une même histoire les héros des différents contes où il apparaît.

Le loup devient végétarien, ou se met à la cuisine…

Un dîner entre amis couv Un dîner entre amisDans Un dîner entre amis, vous découvrirez comment le Petit Chaperon Rouge partage une galette avec sa mère-grand, mais aussi les Trois Petits Cochons, la Chèvre de Monsieur Seguin, Pierre, et… le Loup. Le loup trop gourmand croise le lapin qui lui propose de de la purée de carotte, les Trois Petits Cochons préparant un gratin de pommes de terre, le Petit Chaperon rouge coupant les légumes pour la ratatouille avec sa mère… tout en se retenant de les croquer, car il a décidé de devenir “gentil”. Ce n’est pas si facile, quand on est un Loup, de résister à la tentation de manger ses nouveaux amis ! Un conte à la fois tendre et drôle avec Les carottes sont cuites pour le Grand Méchant Loup, un Grand Méchant Loup qui a drôlement vieilli, qui n’attrape plus rien du tout, et qui en est réduit à piquer des légumes dans le potager des Trois Petits Cochons… Avec le Petit Chaperon rouge et sa fille Violette, ils lui amènent de quoi manger, et même un panier avec une galette et un pot de confiture.

Les carottes sont cuites pour le grand Méchant Loup Le loup trop gourmandCes charmantes histoires n’ont plus rien à voir avec les contes anciens, où le Loup est précisément celui qui dévore toute crue la chair des animaux et des petits enfants. L’animal et les héros issus des contes populaires, ne se distinguant dès lors plus des autres héros pour enfants, servent à transmettre des valeurs de partage et d’amitié, voire à réprouver le défaut que serait une gourmandise trop prononcée³. Il n’est plus question d’initiation, de mise en avant des rôles sociaux des un-e-s et des autres ou de passage à l’âge adulte.

Il y a tant à dire sur la place et le sens de la gourmandise, de la nourriture et de la cuisine dans les contes de fées, et sur les recettes qui en sont inspirées, que cela fera l’objet de plusieurs articles sur Happy Apicius. Pour les dijonnais, il y a Il était une fois la gourmandise, visite guidée des collections à la bibliothèque patrimoniale, qui peut être réalisée pour des groupes (de grands). Et pour écouter d’autres histoires gourmandes, c’est le 4 février, avec les Lectures dans l’escalier (pour les enfants à partir de 4 ans).

¹ Paul Delarue appartient, avec Achille Millien, aux folkloristes qui se sont attelés à la collecte, la mise par écrit et l’analyse des contes populaires, recueillis dans la tradition orale des campagnes françaises et européennes.

² Pour plus de détails sur l’analyse de ce conte et en lire différentes versions, voir en particulier Yvonne Verdier, “Le Petit Chaperon rouge dans la tradition orale”, pages 169 à 206 de Coutume et destin.

³ Quelle drôle d’idée !

Marie