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Histoire(s) en cuisine : crème bachique et eau de cerfeuil

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La cuisinière bourgeoise, suivie de l’office, à l’usage de tous ceux qui se mêlent de la dépense des maisons

En 1746, Menon publie un recueil de recettes qui devient très vite un best-seller : La cuisinière bourgeoise... Il s’attache à en définir le public : “grands seigneurs soucieux de leur santé, cuisinières au service de la bourgeoisie, bourgeoises confectionnant confitures et ratafias”, tout en excluant “le peuple vivant de bas morceaux de boucherie”*.

Le curriculum vitae de ce cuisinier pourtant devenu célèbre est encore moins bien connu que celui de François Massialot. Au point que certains commentateurs, devant la qualité de son écriture et au regard des usages de l’époque, en sont venus à douter qu’il s’agisse bien d’un cuisinier, imaginant plutôt un lettré. Cependant, les connaissances techniques présentes dans ses ouvrages laissent apparaître la main d’un véritable professionnel de la cuisine, avec peu de doutes possibles.

Meurtre au café de l'Arbre sec Le Livre de poche

Meurtre au café de l’Arbre sec Le Livre de poche

Menon cuisine et écrit, publie, cède, signe, réédite ou modifie ses ouvrages, constituant une bibliographie riche et intéressante, où choisir une ou deux recette-s à déguster devient une véritable gageure… La cuisinière bourgeoise… contient près de 200 recettes de viandes, poissons, légumes (et leur conserves), herbes et épices, laitages, pâtisseries, sauces et office.

La science du maître d’hôtel cuisinier, avec les observations sur la connoissance et les propriétés des alimens, paru pour la première fois en 1749, recense pas loin de 800 recettes tout aussi méthodiquement réparties, accompagnées d’indications de service, de menus, de précisions sur les saisons ou les périodes de gras et de maigre.

Dans La Science du maître d’hôtel confiseur, à l’usage des officiers. Suite du maître d’hôtel cuisinier, Menon suit les traces de François Massialot et sa Nouvelle instruction pour les confitures jointe au Cuisinier royal et bourgeois. Résolument pour la “nouvelle cuisine”, il défend lui aussi recettes à base de fruits et de fleurs (plus de 600 recettes dans l’ouvrage) et décors de table. Observations sur les variétés de fruits et de fleurs, considérations sur leurs goûts et leur vertus, recettes de marmelades, confitures, glaces (appelées parfois “fromages glacés”), mousses, crèmes, ratafias, biscuits, et quelques indications sur le pastillage et les sables colorés – pour l’aspect esthétique principalement.

Menon, La science du maître d'hôtel confiseur..., exemplaire de la BnF

Menon, La science du maître d’hôtel confiseur…, exemplaire de la BnF

On remarque la rareté ou le caractère succinct des considérations diététiques dans ses ouvrages – est-ce pour cela que Michèle Barrière le décrit comme un si bon vivant dans Meurtre au café de l’Arbre sec ? Quoi qu’il en soit, le personnage qu’elle nous dépeint est un cuisinier magnifique, qu’on aurait bien envie de côtoyer !

Après le poulet en filets de François Massialot et Michèle Barrière, voici 2 autres recettes qui ont traversé le temps : eau de cerfeuil pour se rafraîchir le palais, crème bachique pour une expérience surprenante.

Toute recette commence bien sûr par le choix des produits, et j’ai profité de l’occasion pour réaliser un vieux rêve de gourmande fait mon devoir de bibliothécaire-blogueuse en accompagnant en reportage Mathieu Munier, le chef de la BHV qui a réalisé les dégustations de la soirée, faire son marché sous les Halles dijonnaises. Tout en posant plein de questions – par conscience professionnelle, bien entendu.

La preuve que je me suis levée tôt le vendredi 26 août...

La preuve que je me suis levée tôt le vendredi 26 août…

Ravitaillement en herbes aromatiques pour le restaurant et la soirée

Ravitaillement en herbes aromatiques pour le restaurant et la soirée

Le chef de la BHV s'approvisionne auprès de Jacqueline (moi aussi !)

Le chef de la BHV s’approvisionne auprès de Jacqueline (moi aussi !)

L’eau de cerfeuil selon La Science du maître d’hôtel confiseur… de Menon :

“Faites infuser dans trois demi-septiers** d’eau tiede pendant une demi-heure une poignée de cerfeuil épluché & lavé, ensuite vous la passez dans un tamis, mettez-y deux onces de sucre ; quand il fera fondu, vous repasserez cette eau dans une serviette un peu serrée ; pour la mettre à rafraîchir. L’eau de pimprenelle se fait de la même façon.”

Eau de cerfeuil par Mathieu Munier, d'après la recette de Menon

Eau de cerfeuil

La crème bachique selon La cuisinière bourgeoise…, de Menon également :

“Mettez dans une casserole trois demi septiers de vin blanc avec deux écorces de citron verd, une pincée de coriandre, un petit morceau de canelle, trois onces de sucre, faites bouillir à petit feu pendant un bon quart d’heure ; délayez dans une autre casserole une demi cuillérée à caffé de farine avec six jaunes d’œuf, mettez y petit à petit, le vin que vous avez fait bouillir, lorsqu’il sera à demi froid, passez le tout au tamis, & faites cuire votre crême au bain marie, quand elle sera prise, vous l’ôterez pour la mettre au frais, jusqu’à ce que vous la serviez.”

C’est très bien, me direz-vous, mais voilà une recette qui mériterait d’être un peu plus explicitée, notamment en ce qui concerne les proportions… Vous en avez de la chance (et nous aussi), Mathieu Munier a accepté avec plaisir de partager sa version de la recette de Menon :

“1.5 l de vin blanc sec + 4 écorces de citron vert + 2 grosses pincées de coriandre (graines) +2 morceaux de cannelle (4 cm). Réduire le tout pour obtenir environ 75 cl. Faire refroidir. Passer au tamis et ajouter 12 jaune d’oeufs + 100g de sucre + 1 cuillérée à soupe de farine (ou maïzena, plus stable que la farine par temps orageux). Blanchir et ajouter au vin blanc ; cuire au bain marie environ 15 mn à 10 °C. faire refroidir.”

Crème bachique par Mathieu Munier, d'après la recette de Menon

Crème bachique

Vous pouvez remplacer la “serviette” de l’eau de cerfeuil par tout autre moyen de filtrage plus contemporain si vous le souhaitez. Le nom de “crème bachique” vous interpelait ? Vous n’arriviez pas à reconnaître ce goût que pourtant vous connaissez bien ? Ici, la référence à Bacchus renvoie au vin, et nous reparlerons de cette histoire très bientôt. Ces 2 recettes sont à déguster de préférence fraîches, plutôt qu’à conserver, pour profiter au mieux de leur goût. Elles sont bien sûr à adapter en fonction de vos goûts et de votre humeur !

La table de la librairie Grangier pour la vente-dédicace, complètement pillée par les fans

La table de la librairie Grangier pour la vente-dédicace, complètement pillée par les fans

échanges entre auteure et public, toujours un moment particulier

échanges entre auteure et public, toujours un moment particulier !

Si les héros de Meurtre au café de l’Arbre sec, partis à la chasse au manuscrit connu aujourd’hui (et dans notre réalité !) sous le nom de Mesnagier de Paris, sont confrontés au manque d’intérêt de nombre de leurs interlocuteurs pour les recettes anciennes, nous pouvons constater, par le succès non démenti des ouvrages de Michèle Barrière et de la “cuisine historique” en général, quelle richesse et quelle ouverture ce patrimoine constitue pour les sociétés actuelles.

Michèle Barrière en pleine présentation

Michèle Barrière en pleine présentation de la cuisine à travers l’histoire (toujours vêtue de mon tablier !) – poulet rôti et ingrédients préparés par Mathieu Munier, d’après la recette de Michèle Barrière, d’après François Massialot…

Mathieu Munier choisit ses produits pour nous régaler

Mathieu Munier choisit ses produits pour nous régaler

Un grand merci à Michèle et Mathieu de nous avoir permis de voyager à travers le temps et l’histoire gourmande, par cette expérience aussi intellectuelle que gustative (à moins que ce ne soit l’inverse ?), grâce à leur intérêt pour la cuisine ancienne et leur souci de diffusion de la culture gourmande.

*Livres en bouche, cinq siècles d’art culinaire français, Paris : Bibliothèque nationale de France et Hermann, 2001 (catalogue d’exposition et ouvrage de référence pour l’histoire du livre de cuisine en France)

**Voilà un terme qui nous aura donné du fil à retordre ! En fonction des champs de compétences (cuisine ou agriculture), des époques, et même des régions, il ne signifie en effet pas la même chose. Il peut correspondre à entre 1/4 de litre et 156 litres, difficile donc de savoir quoi en faire dans une recette de cuisine. La correspondance qui est revenue le plus souvent correspond à demi-litre pour un demi-septier, c’est donc celle que le chef à utilisée, et le résultat est on ne peut plus concluant. Si quelqu’un connaît un ouvrage de référence sur les mesures anciennes, nous sommes preneurs !

Marie

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