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Cris de Paris

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« Qui veut du lait ? » « A l’eau ! A l’eau ! » « Petits pâtés tous chauds !»

A quoi vous font penser ces appels ? Aux marchands ambulants bien sûrs, lesquels demeurent présents dans notre imaginaire collectif. Nous avons tous vu reproduits, parfois sur les supports les plus improbables (ma maman avait un service à dessert vraiment joli), les petits métiers d’antan : porteur d’eau, ramoneur, marchand d’oublies*, rémouleur, vendeur de cuillères…

Dans la littérature comme dans l’iconographie, les crieurs et autres vendeurs de rues ont fait florès. Pas étonnant que l’on trouve dans la très riche collection d’estampes de Jean-Baptiste-François Jehannin de Chamblanc un marchand d’huîtres, une marchande de lait, un vendeur de biscuits.

Ces gravures de Gilles Demarteau sont destinées à une clientèle de classe moyenne ou aisée et mettent en scène le peuple dans un registre assez mesuré comparé aux images préexistantes sur ce thème. En effet, alors qu’aux siècles précédents ce type de représentation s’inscrivait dans une veine plutôt burlesque et satyrique, au 18e siècle nous assistons progressivement à une idéalisation du peuple. Nos petits marchands semblent tout à fait innocents et ne sont pas l’objet de moqueries. Le but ici est de divertir tout en éclairant sur les mœurs populaires.

A la même époque, tout le monde n’est pas sensible au charme de ces scènes puisque Rétif de la Bretonne écrit en 1788 dans Les nuits de Paris :

«  …je sentis en outre qu’il serait sage, utile, de supprimer insensiblement toutes les colporteuses de fruits, qui ne sont que des fainéantes, des inutiles, puisqu’il y a des fruitières dans tous les quartiers ; que tous les membres des Cris de Paris** font de mauvais sujets… ».

Vues du 21e siècle, ces images ont un intérêt documentaire.

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Le marchand d’huîtres, gravé par Gilles Demarteau, d’après un dessin de Jean-François Clermont

Le marchand d’huîtres se rencontre assez fréquemment. Ce métier, comme d’autres exercés dans la rue, peut l’être par des enfants (même si le choix de représenter un enfant relève ici sans doutes plus d’une volonté de pittoresque). On dit que l’on vend « l’huître à l’écaille », expression pour désigner l’huître fraîche recouverte de son écaille et ouverte lors de la vente.

Les huîtres viennent de France (Dieppe, Etretat, Cancale, Courseulles…) et sont plutôt fines. Elles arrivent à Paris ou en province en bourriches et par barque la plupart du temps. Certaines viennent dans des chariots contenant des cuves remplies d’eau de mer. L’acheminement par route permet cinq jours de vente maximum à Paris (d’après une ordonnance de 1779 réglementant la vente et la consommation afin d’éviter les accidents sanitaires). Elles sont stockées, conservées dans la saumure et vendues au détail. Elles restent chères mais appréciées. Il y a différentes façons de les accommoder : en farce, chaudes, sautées à la poêle, cuites au gril dans leur coquilles… Elles peuvent aussi être mangées crues, d’ailleurs notre vendeur est prêt à les ouvrir avec son couteau à lame épaisse et courte.

Recueil factice;La Marchande de lait

La marchande de lait, gravé par Gilles Demarteau, d’après un dessin de Jean-François Clermont

La marchande de lait exerce un métier prisé à l’époque. Le lait est paré de toutes les vertus et au 18e siècle il devient un produit de consommation courante. Pierre-Olivier Fanica nous indique, dans son ouvrage Le lait, la vache et le citadin : du XVIIe au XXe siècle que les citadins consomment moins de vin le matin et le remplacent par du café au lait (chacun ses goûts).

Cependant, si l’on en croit Louis-Sébastien Mercier dans son Tableau de Paris :

« On falsifie le lait […] : on y met de l’eau […] Une ordonnance de police a sagement défendu d’apporter du lait dans des vases de cuivre ; mais le paysan opiniâtre les a gardés chez lui ; et pour contrarier la loi, il tire la vache dans le cuivre, et le transvase au matin dans les nouveaux pots en fer-blanc. »

Les laitières exerçant dans la rue sont en effet accusées de trafiquer leur lait avec de l’eau ou avec de la farine et de continuer à utiliser des récipients en cuivre à la nocivité avérée. Elles vendent du lait de vache, en général, mais aussi du lait d’ânesse ou de chèvre.

Recueil factice;Le marchand de biscuits

Le marchand de biscuits, gravé par Gilles Demarteau, d’après un dessin de François Boucher

Le petit vendeur de biscuits donne envie. Nous aimerions bien goûter les biscuits de l’époque. Ils ne devaient pas être mauvais…

A Bosse pâtissier

Le pâtissier, gravure d’Abraham Bosse conservée à la Bibliothèque nationale de France et visible sur Gallica, atteste qu’au 17e siècle les pâtissiers confectionnent des biscuits dans leurs boutiques.

La lettre mentionne :

« Par un excez de friandise / Icy lon donne du ragoust ; / Et lon y vend, pour plaire au goust, / Toute sorte de marchandise. // Chascun y travaille à son tour, / Châcun met la main à la paste ; / L’un fait des pastez à la haste, / Et l’autre les met dans le four. // Pour de l’argent on donne à tous / Des maccarrons, des darioles***, / Des gasteaux divers des rissoles ****/ Du biscuit, et de petits chous…»

Les pâtissiers sont des « spécialistes des pâtes » et fabriquent surtout des articles salés, mais pas uniquement. A la même époque, Le pastissier françois (1653), attribué à François Pierre de la Varenne, livre des recettes de biscuits comme le « biscuit à la canelle », le « biscuit à la Reyne », le « biscuit de pistaches »… La pâtisserie bénéficie de nouvelles techniques comme le feuilletage, l’utilisation du beurre, le travail « au ruban » en faisant mousser le mélange de sucre et d’œufs. Au 18e siècle l’habitude est prise de consommer des biscuits, en particulier avec le café. D’ailleurs ça me donne faim, je vais peut-être me téléporter dans la gravure.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ces activités ne sont pas exercées à la sauvette et elles dépendent d’une organisation en corporations réglementée par des statuts. Découlant des confréries de métiers, les règles établies sont très précises et concernent par exemple les horaires d’exercice, les jours fériés, les privilèges, les taxes et les prix des produits, les spécificités des jours de marché et foire…

Ainsi, par exemple, en 1700, une ordonnance de police défend de crier et de vendre des huîtres en écaille après 8 heures le soir. Les vendeurs trouvent dans ces textes à la fois des bénéfices et beaucoup de contraintes. A la Révolution, on assiste à une déréglementation et à la fin du 19e siècle le nombre de marchands battant le pavé ne cesse de reculer, le développement des usines provoquant la désaffection de ce type d’emploi.

Pour conclure, je vous invite vous aussi à voyager à travers la collection de Jehannin de Chamblanc consultable à partir du portail de la BM, à admirer l’exposition consacrée à ce collectionneur à la bibliothèque patrimoniale et d’étude et à la Nef et à vous inscrire aux différentes animations proposées dans le cadre de la Saison Jehannin.

Nathalie

*Les oublies sont cuites dans des moules ressemblant à des moules à gaufres. Leur pâte est à base de sucre, d’œufs, de miel, d’eau.

** Cris de Paris : terme pour désigner les vendeurs de rue de Paris, que l’on reconnaît à leur « cri » destiné à interpeller le chaland.

*** Les darioles sont des sortes de flans au fromage de gruyère cuits dans des moules tronconiques avec ou sans côtes rappelant les moules à cannelés.

**** Les rissoles sont des pâtés frits.

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